À
peine écrit, m’échappe ce livre sur
lequel j’ai passé des années ou des
mois : c’est d’abord de décisions de
directeurs de collections et de maisons d’éditions
qu’il va dépendre. Puis ce sera la chaîne
de la fabrication qui lui donnera ses traits, son visage
et c’est dans les arcanes de la commercialisation,
de la mise en place en librairie, des relations de presse
et de la communication que va se jouer son lancement ; puis
les silences ou les trompettes et les chœurs de la
radio et de la télé, le travail inlassable
des libraires fidèles à leur mission de conseil,
les choix des lecteurs et l’insaisissable jeu du bouche
à oreille scelleront son destin.
Une fois publié, chaque livre vit sa vie. En fonction
de l’air du temps et du cours fluctuant des idées.
Le Socialisme à l'épreuve de l'histoire
est sorti à contre-temps :
l’idée que le socialisme avait été
avant tout une grande espérance historique face à
la misère ouvrière du XIXe siècle,
que beaucoup avait été accompli en son nom
mais qu’il n’avait nulle part fait naître
une réalité nouvelle qui dépasse le
couple capitalisme-étatisme, ne pouvait alors être
bien reçue : ni par ceux qui avaient besoin de croire
dans le socialisme, ni par ses adversaires, ni par ceux
qui se servaient de son nom pour asseoir leur pouvoir. L’État
de l’environnement dans le monde et Le Basculement
du monde sont probablement sortis dix ans trop tôt
: car, pour les éditeurs, les acteurs de la commercialisation
et les critiques, c’est la nouveauté qui prime.
Aujourd’hui, on ne brûle plus guère les
livres, mais on les jette, on les enfouit dans l’oubli
et il faut un miracle pour que revienne à la vie
un livre d’hier ou d’avant-hier. Tant d’autres
sortent sans cesse. Je n’oublierai jamais l’ébahissement
du directeur du Seuil quand il vérifia sur son écran
que je ne galéjais pas : l’ Histoire du
capitalisme, qui atteignait ses 20 ans, était
toujours vivace, en France à travers des éditions
successives, et à l’étranger grâce
à plusieurs traductions ; la cinquième édition,
l’Histoire du capitalisme. De 1500 à 2000
a elle-même fait l’objet de nouvelles traductions
notamment aux États-Unis, au Vietnam, en Italie et
au Japon. Et, la sixième édition Histoire
du capitalisme - 1500- 2010 a été publiée
au printemps 2010 : à l'automne 2011, sa traduction
est pratiquement terminée en Chine.
À l'automne 2011, le Seuil publie Face au Pire
des mondes: ce livre s'enracine dans tout le processus
de travail qui a débouché sur la publication
en 1993 de L'État de l'environnement dans le
monde; il prolonge, précise et actualise la
vision proposée dans Le Basculement du monde,
de 1997 ; il établit un très inquiétant
bilan des dernières décennies au cours desquelles
les croissances des consommations, l'incurie des gouvernements,
l'impuissance du système onusien et l'insatiable
quête de pouvoir et de profit de la finance et des
grandes firmes ont entraîné l'aggravation des
inégalités et des dévastations mondiales…