Postface d’une nouvelle traduction coréenne

“Postface” inédite en français de la nouvelle traduction de l’Histoire du capitalisme. De 1500 à 2000, à paraître chez Puriwa Ipari Publ. Co en 2009

La troisième grande mutation du capitalisme
L’“engrenage fatal”
Le “carrefour sublime”


1°/ La troisième grande mutation du capitalisme

  Au cours de la première décennie du XXIe siècle, s’est confirmé ce fait: la troisième grande mutation du capitalisme est en cours.
 Une nouvelle fois, avec la troisième révolution scientifique et technique, le capitalisme change de nature. La première fois, avec la "révolution industrielle", ce fut le passage du capitalisme manufacturier au premier capitalisme industriel, celui du charbon, du fer et de l'acier, de la mécanisation, de la machine à vapeur, et des chemins de fer. La deuxième fois, avec l'électricité et le pétrole, la chimie et les matériaux synthétiques, les moteurs électriques et à explosion, l'automobile et l'avion, ce fut le passage au second capitalisme industriel. Cette fois-ci, le changement concerne encore les énergies et les techniques : avec le nucléaire et les énergies renouvelables, l'informatique, les télétransmissions et internet, les biotechnologies et la génétique, la robotique, les nanotechnologies...


 Mais le changement est bien plus profond. Lors des deux "capitalismes industriels", le développement de la science, porté par les "savants", était largement autonome : les entreprises menaient leurs développements productifs principalement sur la base des avancées technologiques réalisées par leurs ingénieurs et techniciens - en utilisant des inventions ou avancées scientifiques qui leur paraissaient intéressantes. Le changement s'est amorcé dans le cadre du second capitalisme industriel, quand des grandes entreprises ont mis en place leurs propres centres de recherche.  Aujourd'hui, une page a été tournée : pour l'essentiel le développement de la connaissance scientifique est motivé par les perspectives d'applications techno-industrielles permettant de produire des marchandises dont la nouveauté assure un monopole temporaire. La science a changé de nature : elle est de moins en moins animée par l'idéal de la Connaissance ; comme elle vise de plus en plus à des applications techniques qui s'inscrivent dans la perspective du marché capitaliste, je la nomme "technoscience". Le nouveau capitalisme de cette première moitié du XXI° siècle ne me paraît être ni un "troisième capitalisme industriel" ni un "capitalisme informationnel" : parce qu'il est principalement fondé sur le contrôle et l'orientation des progrès de la technoscience, on peut l'appeler "capitalisme technoscientique".
  Une nouvelle fois, la mutation du capitalisme ne s'opère pas, comme le passage d’une larve à un papillon, à travers un processus continu : il s'opère par stratification. Une nouvelle strate de capitalisme s'est mise en place et renforcée : avec des entreprises qui d'une manière ou d'une autre contrôlent la recherche (que ce soit à travers leurs propres centres de recherche, des recherches publiques ou des contrats avec des équipes universitaires) et l'orientent en vue d'en instrumentaliser au plus vite les résultats ; avec aussi de jeunes scientifiques - parfois des étudiants avancés - qui, pressentant l'importance d'une piste nouvelle, créent leurs propres entreprises, comme cela a été le cas en informatique, dans l'internet ou dans les biotechnologies.
  Ces changements impulsés par la nouvelle strate technoscientique se diffusent à toutes les autres strates. Cela se fait en partie par mimétisme : les entreprises des anciens secteurs du XX° siècle - chimie, pharmacie, automobile, aéronautique, agro-alimentaire, télécommunication, etc.. - se dotent de leurs propres centres de recherche ou renforcent et renouvellent leurs anciens. Cela se fait aussi par diffusion des applications : ainsi les applications toujours renouvelées de l'informatique, de l'internet et des nouvelles énergies se diffusent à tous les secteurs productifs, aux marchandises de ces secteurs, et plus largement au commerce et à l'urbanisme, aux transports, à l'habitat, à la santé, à l'éducation, aux loisirs, aux services et notamment à la banque et à la finance…
  Ainsi la création d'une nouvelle sphère financière mondiale, avec de nouveaux produits (financiers, bancaires, d'assurance), n'aurait pas été possible sans les progrès des télécommunications, de l'informatique et de l'internet.
  On peut estimer que le capitalisme technoscientique va être prédominant au moins pendant toute la première moitié du XXI° siècle.
  Cela ne doit pas faire oublier que chaque capitalisme national demeure un ensemble stratifié, avec toutes les autres formes du capitalisme: financier, bancaire, marchand, manufacturier, industriel (1 et 2), informationnel et de services. A fortiori, l’est aussi le capitalisme mondial, fait à la fois de capitalismes nationaux très hétérogènes, de structurations multinationales (à travers les firmes multinationales que sont devenues la quasi-totalité des firmes dynamiques), d'espaces plurinationaux d'échange et de coopération, et de réseaux d'échanges (commerciaux, financiers, d'informations)... L'ensemble fonctionne en système : un système national/ régional/ mondial hiérarchisé.
 En outre, une nouvelle fois, se modifie la hiérarchie des puissances.
 Prédominante au XIX° siècle, la Grande-Bretagne a cédé ce rang aux Etats-Unis au cours du XX° siècle - alors même que l'URSS tentait de montrer par ses réalisations la supériorité du « communisme » sur le capitalisme.
 Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont pris la direction, face à l'URSS, du monde capitaliste et démocratique, tandis que la Chine, sur la base d'un étatisme habillé des promesses du socialisme, s'engageait sur la voie du développement industriel, scientifique et technologique. Des années 1950 aux années 1990, le monde capitaliste était dominé par la "Triade" Amérique du Nord/ Europe/ Japon ; de nouveaux pays émergèrent et s'affirmèrent rapidement, notamment en Asie. L'URSS, embourbée dans ses inerties et ses dysfonctionnements, s'épuisait dans la course aux armements lancée par les Etats-Unis. Son effondrement, puis son démantèlement, libérèrent les anciennes "démocraties populaires" de l'est de l'Europe, permirent à d'autres pays de se ressourcer dans leur propre histoire et laissèrent une Russie déstabilisée, durablement affaiblie par une cure libérale appliquée sans ménagement ; depuis, ce pays travaille à recouvrer son rang. En Chine, le régime a choisi de se perpétuer en tant que système de pouvoir, tout en s’engageant à marche forcée dans la voie de l'économie de marché et du capitalisme. En Inde, sur un fond de société traditionnelle et d'interventionnisme d'Etat, s'est, depuis des décennies, développé un capitalisme de grandes familles qui s'est élargi et affirmé. Aujourd'hui la Chine et l'Inde sont de larges aires de croissance ; beaucoup d'entreprises étrangères y investissent ou y développent des coopérations tandis que de grandes entreprises indiennes et chinoises tentent ou mènent des opérations de prise de contrôle dans le monde.
  D'après les échanges commerciaux et les investissements à l'étranger le monde actuel apparaît multipolaire: avec l'Amérique du Nord, l'Europe, le Japon et la Chine – et, de plus en plus la Russie, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud…
 D’après les capacités militaires et stratégiques, mais aussi technologiques et financières, les Etats-Unis se détachent nettement, même si les deux mandats du second président Bush ont considérablement rogné sa stature internationale. La Russie peut à nouveau lui tenir tête ; mais, sauf si elle connaît une grave crise interne, c’est la Chine qui paraît appelée à atteindre le premier rang mondial dans les prochaines décennies.
 Quelques incertitudes sérieuses peuvent être sources d'inquiétudes.
 Que va devenir l'Afrique ? Va-t-elle enfin trouver des dynamiques propres pour mettre en valeur ses immenses ressources et s'affirmer comme le "continent émergent" du XXI° siècle ? Ou va-t-elle, engluée dans le mal-développement et les conflits locaux ou régionaux, être la proie d'un nouveau partage, entre Chine, Etats-Unis et grandes firmes de ces pays et d'ailleurs ?
 Que va devenir le monde musulman, écartelé qu'il est entre la tentation de la modernité - et l'insertion dans les dynamiques économiques et sociales qui prévalent dans le monde aujourd'hui - et l'appel intransigeant au Djihad, au rejet de l'étranger et au renfermement ? Même si ces tensions sont présentes partout, les réponses vont sûrement être différentes selon les régions (Asie du Sud-Est, Asie centrale, Asie occidentale, Moyen-Orient, Afrique du Nord, Afrique noire islamisée...) et selon les pays.
 Une nouvelle grande crise va-t-elle durablement déstabiliser la croissance capitaliste mondiale actuelle ? Le capitalisme mondial a déjà subi de grandes crises : ces crises sont, pour l’essentiel, les secousses qui accompagnent les mutations planétaires ; certains y gagnent et d’autres y perdent. Jusqu’ici le capitalisme a dépassé ces crises en trouvant de nouvelles aires d’expansion : nouveaux marchés, nouvelles contrées, nouveaux débouchés. Mais aujourd’hui, pour la première fois, nos croissances économiques épuisent et affectent gravement la Terre. Les sociétés humaines se trouvent confrontées aux limites de la planète : qu’il s’agisse de ses ressources dont nous usons et abusons, de ses capacités à supporter et recycler nos déchets et de ses propres fonctions d’autoreproduction (changement climatique, destruction de biotopes et disparition croissante d’espèces vivantes) : comment le capitalisme pourra-t-il concilier sa nécessaire expansion permanente et les limites d’une Terre qui soudain se révèle trop petite ?
 Saurons-nous résoudre à temps les problèmes posés par les tensions entre les effets négatifs des croissances actuelles et les limites d'une planète déjà gravement affectée par les effets des croissances antérieures ? Effet de serre et changement climatique, pollutions durables chimiques et radioactives dans l'ensemble de la planète, épuisement des ressources (forêts, poissons, sols, eau), destruction du vivant, des espèces, de la diversité biologique et des biotopes : pourrons-nous réfréner à temps ces fléaux causés par nous, alors que le nombre de consommateurs de la société de confort va passer de 1 à 2 ou 3 milliards et que d’autres milliards aspirent à les rejoindre ?
 Aujourd'hui, pour assurer aux 6,5 milliards de Terriens un confort acceptable, il faudrait avec les technologies actuelles plusieurs planètes. Nous serons près de huit milliards en 2025 et près de neuf milliards en 2050. Et le capitalisme incite sans cesse chacun à consommer plus. Jusqu'où, pour quelle humanité et quel monde ?
 Au total, nous, les humains - êtres dotés de mémoire, de capacité de jugement et de décision et de puissants moyens de connaissance, d’action, de transformation et de destruction - sommes porteurs d’immenses responsabilités. Je voudrais donc ici tenter de dégager ce qui me paraît être l’enjeu principal en ce début de siècle : un enjeu essentiel pour les sociétés humaines et leurs aires de vie, pour la qualité humaine et finalement pour l’Humanité, la Terre et le Vivant.
 C’est dire que je vais m’exprimer autant en tant qu’humaniste que comme économiste ou historien.  Je vais développer mon propos autour de deux propositions :
 Nous - l’ensemble des habitants de la Terre - sommes pris dans une puissante et périlleuse évolution, que je qualifie d’“engrenage fatal” ;
 Y échapper ou non dépend de nous ; car nous sommes, pour quelques décennies, engagés dans ce qui me paraît être un “carrefour sublime”.
2°/ L’“engrenage fatal”

 Le capitalisme, avons-nous dit, n’est pas seulement un système économique : c’est un système économique et social. Issu de sociétés européennes de tradition chrétienne, il a aujourd’hui touché pratiquement toutes les sociétés du monde, des sociétés marquées par une grande diversité d’histoires, de civilisations, de religions et de systèmes de pensée : il se développe particulièrement bien dans les sociétés qui ont une longue pratique de l’échange marchand, du commerce et des rapports d’argent. Aujourd’hui, le Système national/ mondial hiérarchisé qu’ont suscité les élargissements et les dynamiques du capitalisme n’est pas seulement un système économique : c’est un système économique et financier, social et culturel. À travers la production et la circulation des marchandises et de l’argent, il touche la structuration sociale, les modes de vie, le travail et les besoins, donc la vision du monde et de la vie, dans une gamme très diversifiée de sociétés : des sociétés auxquelles il s’adapte tout en les transformant.
 Cependant, sous l’extrême multiplicité de réalités toujours changeantes, on peut discerner un puissant mouvement qui concerne toute l’Humanité et qui met en jeu le devenir des sociétés humaines et de la planète.
 Au cœur de ce mouvement il y a ces dynamiques du capitalisme - la marchandisation, l’investissement, l’innovation – à travers lesquelles les entreprises se projettent vers le futur, tout en suscitant chez les consommateurs des attentes de « toujours plus, toujours nouveau ». Le contrôle de la technoscience par les entreprises renforce et démultiplie ces dynamiques ; car elle permet de concevoir de nouvelles marchandises pour des besoins potentiels de consommateurs de demain ; et il appartiendra en temps voulu à la communication de susciter le désir et de stimuler les besoins des nouveaux biens et services mis sur le marché. Si la dynamique capitaliste est aussi puissante c’est parce qu’elle entre en résonance avec des ressorts humains profonds : nécessité de vivre, bien sûr, mais aussi désir de bien vivre, de vivre mieux, de vivre au-dessus des autres et en se distinguant d’eux.
 En même temps, à travers ses dynamiques de croissances et de crises, de destruction créatrice, de constitution de monopoles et de mise en concurrence, le capitalisme est générateur d’inégalités - inégalités entre individus, entre groupes et couches et entre pays ou régions ; inégalités de revenus, de pouvoirs d’achat et de fortunes ; inégalités dans les capacités à répondre aux aspirations à vivre mieux, vivre au-dessus des autres ou vivre avec un temps d’avance sur les autres.
 Très concrètement, de 1820 à la fin du XXe siècle, la population mondiale a été multipliée par 6, la production par terrien par 6,15 et donc la production mondiale par 37. Dans les pays riches, la production par tête, donc la dépense consacrée à la satisfaction de ses besoins par un consommateur moyen, a été multipliée des dizaines de fois : de 40 à 60 fois - un ordre de grandeur de la croissance des “besoins solvables satisfaits” dans ces pays au cours de ces deux siècles. Dans les pays et les zones les plus pauvres, la production par tête a faiblement cru, stagné ou même régressé quand les ressources essentielles - le sol, l’eau - se raréfiaient ou se dégradaient. Les écarts se sont brutalement et fortement creusés entre le monde de l’opulence et celui du dénuement.
 Or, les besoins se diffusent, par une sorte de contamination, d’individus à individus, de groupes à groupes, de couches à couches, de pays ou régions à pays ou régions. C’est ainsi que s’est engagée dans les pays d’opulence et de confort, l’incessante quête du “toujours plus, toujours mieux, toujours nouveau” : une spirale qui, des Happy few, gagne les riches, puis les couches aisées, puis les couches moyennes jusqu’aux couches à faible pouvoir d’achat ou en situation d’exclusion ; une spirale qui engendre ici du bien-être et du contentement, mais là de l’insatisfaction, des sentiments de manque et de frustration et, pour beaucoup, même s’ils bénéficient d’une élévation de leur pouvoir d’achat, des sentiments d’appauvrissement relatif.
 De même, dans le monde, de sociétés à sociétés : les besoins de confort des pays riches se diffusent vers les couches dirigeantes et les classes aisées de tous les autres pays, mais aussi vers les couches qui acquièrent un peu de pouvoir d’achat et vers les jeunes. Au total, les besoins se diffusent bien plus vite et bien plus largement que les capacités de les satisfaire : d’où la mondialisation de l’insatisfaction et de la frustration.
 Ainsi, alors que des milliers de générations ont vécu au rythme des saisons et du cycle des bonnes et des mauvaises années - chacun vivant à peu de choses près comme ses parents et ses grands-parents -, le capitalisme nous entraîne dans une course sans fin. Les économies nationales sont jugées à l’aune de leurs taux de croissance. Les firmes mobilisent des moyens toujours croissants et notamment les ressources de la recherche scientifique, pour des marchés à venir, des demandes solvables à venir, des profits à venir. Nos sociétés sont entraînées dans cette quête sans fin du “toujours plus, toujours mieux, toujours nouveau” : certaines y réussissent - avec en leur sein des satisfactions inégalement partagées -, mais d’autres, qui aimeraient y prendre part, ne peuvent suivre faute des moyens nécessaires.
 Le paradoxe est que, même dans les pays riches où la production par habitant a été multipliée par 30 à 40, n’ont disparu ni le chômage, ni la pauvreté, ni l’exclusion, ni le manque : les dirigeants et les opinions de ces pays estiment avoir besoin de la croissance. Les pays dits “émergents” connaissent les mêmes maux, souvent à une grande échelle quand se disloquent, sous le choc de la modernité, de larges pans de sociétés rurales traditionnelles : leurs populations et leurs dirigeants estiment avoir doublement besoin de la croissance - pour combattre ces maux et pour rattraper les pays les plus avancés. Dans les pays pauvres, on retrouve le même projet ; mais face aux échecs, aux déceptions, aux inerties, nombre de jeunes adultes s’impatientent et s’efforcent de gagner des aires d’opulence.
 Plus largement, dans des sociétés où s’effritent les valeurs, le respect du sacré, le sens de l’humain et l’esprit de responsabilité, tout tend à être pris dans les logiques du marché capitaliste, du pouvoir d’achat et de l’argent. Des logiques qui favorisent l’acharnement « consommateuriste » des anciennes sociétés d’opulence comme les fastes d’oligarchies milliardaires de pays « émergents » et les fortunes captées par des dictateurs de pays pauvres ; des logiques qui menacent inexorablement les plus démunis, la Terre, le Vivant, les générations futures, la qualité humaine et l’Humanité ; des logiques qui induisent :
• l’incessante multiplication des richesses et l’accentuation des situations de pauvreté et des sentiments de frustration ;
• un totalitarisme de la marchandise et du calcul monétaire qui tend à régir la reproduction de la Terre comme celle des sociétés humaines ;
• une fracture du monde entre 1°/ la caste des Happy few qui vivent dans une sphère d’hyperconsommation ostentatoire ; 2°/ les classes et couches de détenteurs de pouvoirs d’achat permettant d’accéder au confort et à l’aisance ; et 3°/ l’ensemble vaste et disparate des exclus, “sans terre/ sans pouvoir d’achat” dont le monde de la consommation ignore radicalement jusqu’aux besoins fondamentaux.
 Aujourd’hui, on peut considérer qu’un milliard de Terriens bénéficient des normes de confort et d'aisance des pays riches du Nord : or celles-ci fascinent le monde entier. Dans les pays et les zones en cours de modernisation, un à deux milliards sont en train d’y accéder ou y aspirent. Quant à ceux qui vivent avec moins de 2 ou 3 dollars par jour, ils se comptent en milliards.
  Mais déjà, la planète montre par de multiples signes qu’on lui a trop demandé. Car, pendant deux siècles, les sociétés qui accédaient à la prospérité ont refusé d’en voir la part d’ombre. Trop longtemps, dirigeants politiques et chefs d’entreprises, mais aussi consommateurs et citoyens, n’ont pas voulu prendre conscience des dégâts du progrès et de la nécessité d’y remédier. Que de temps il a fallu pour reconnaître la silicose, les maladies de l'amiante et bien d’autres pathologies induites par le milieu de travail ! Que de temps pour admettre les dégradations causées au vivant par les productions industrielles, les traitements agricoles chimiques et les déchets de nos productions et de nos consommations ! Que de temps pour prendre conscience de la pollution des sols et des eaux, donc des océans, lieu de reproduction d’une large part du vivant ! Que de temps il a fallu aux firmes qui les produisaient pour reconnaître le rôle des CFC (chloro-fluoro-carbones) dans la dégradation de la couche d'ozone et aux dirigeants occidentaux pour admettre la part de responsabilité de l’usage des combustibles fossiles dans le changement climatique !
 Dans cette première décennie du XXIe siècle, des firmes (comme celles de l’agrochimie) ou des dirigeants (à l’instar du président Bush) s’entêtent encore dans la dénégation ! Il y a peut-être plus grave : les firmes qui développent les technologies nouvelles (génie génétique, nanotechnologies, diffusion à l'infini des émetteurs d'ondes..., mais aussi énergies nouvelles ou technologies présentées comme propres, telles que le moteur à hydrogène) préfèrent à leur tour nier ou sous-estimer leurs nuisances potentielles.
  Il faut dénoncer ce négationnisme. Celui d’hier est largement à l'origine de l'ampleur des “maladies du progrès” auxquelles nous sommes confrontés : pollutions, atteintes au vivant, empoisonnement durable des sols et des eaux par la chimie et la radioactivité, changement climatique, déforestation, désertification, destruction d’espèces vivantes et autres périls ; celui d’aujourd’hui est de très mauvais augure.
 Car notre Terre n’en peut plus. Elle ne va pas pouvoir faire face à tous les prélèvements ni supporter tous les rejets entraînés par des consommations sans cesse croissantes de consommateurs de plus en plus nombreux. Elle ne pourra satisfaire le déferlement de leurs besoins.
 Fortes inégalités et besoins toujours croissants sur une Terre, système clos aux ressources et aux potentialités limitées : le piège se referme.
 Certains pensent pouvoir y échapper en limitant le nombre de consommateurs dans le monde. Mais quelle éthique peut soutenir que, pour qu’un à trois milliards de Terriens vivent dans le confort il faut laisser ou maintenir dans le dénuement d’autres milliards d’humains en acceptant la mort de centaines de millions d’entre eux ? Quelle organisation internationale pourrait l’admettre ? Quelles puissances et quelles forces armées pourraient l’imposer - avec quelles armes et à quel prix ?
 D’autres misent tout sur les nouvelles technologies et nous invitent à faire confiance dans les énergies et les modes de vie, de transport et de production de demain. Mais il ne faut pas oublier que, jusqu’ici, toute technologie novatrice jugée porteuse d’un mieux a révélé un jour ou un autre sa face noire. Et, à supposer que les réalités attendues répondent à nos exigences, la nouvelle mutation technologique et énergétique va, à l’échelle de la planète, bien nécessiter une ou deux générations.
 Que va-t-il se passer pendant les prochaines décennies ? La moitié des Terriens vivent dans des villes (dont un milliard dans des bidonvilles) et ces nombres vont augmenter : pour l’essentiel, les logements, les modes de transport et les usines en place vont longtemps encore être utilisés - ce qui implique un supplément durable de prélèvements, de dégradations et de pollutions, donc l’aggravation des atteintes à la Terre et au Vivant. Et puis, sans une vigilance et des évaluations préalables sans failles, les énergies de demain et les technologies de demain risquent fort d’entraîner à leur tour de nouvelles dégradations et de nouveaux périls.
 Certains envisagent de rejeter au delà des orbites terrestres les résidus nucléaires ; d’autres d’aller s’approvisionner en ressources sur d’autres planètes ; d’autres d’envoyer des cellules humaines faire souche sur des planètes d’autres systèmes stellaires susceptibles d’abriter la vie. Des dirigeants surarment leurs pays pour se protéger de tous les agresseurs possibles ; d’autres démultiplient les systèmes de surveillance et de contrôle. Les immenses ressources que nous gaspillons aujourd’hui ne seraient-elles pas mieux employées dans la recherche d’une sortie humaine à l’impasse - au piège - dans lequel nous sommes en train de nous enfermer ?
 Car les tendances lourdes nous conduisent à une humanité terriblement inégale où des multitudes manqueront de l’essentiel sur une Terre dégradée : ce qui implique un monde inique, désarticulé, violent, dans lequel les Happy few défendront par tous les moyens les « petits coins de paradis » qu’ils auront réussi à se réserver à grand renfort d’équipements et de moyens de protection très coûteux utilisant les technologies les plus sophistiquées.
 Ce scénario me paraît le plus probable, compte tenu des transformations, des non-décisions, des égoïsmes et des inerties qui ont marqué les dernières décennies. Il n’est pas encore inexorablement engagé. Des options sont encore ouvertes. Mais le choix d’une Terre vivante et d’un monde humain est et va être d’année en année de plus en plus difficile à réaliser.
 L’avenir n’est pas irrémédiablement scellé : nous sommes à un carrefour.
3°/ Le “carrefour sublime”

 Incessante quête du “toujours plus, toujours nouveau”, processus permanent de création et de renouvellement des besoins, mécanismes inexorables de reproduction des inégalités, dilution des responsabilités qui génère une irresponsabilité illimitée : ces tendances induites par le capitalisme concourent à l’engrenage fatal dans lequel nous sommes entraînés. D’autant que, de plus en plus, le capitalisme s’impose, à travers la circulation des marchandises, comme essentiel à la reproduction de nos sociétés.
 À partir de ce constat, on peut esquisser quelques tendances lourdes.
 En privilégiant irresponsabilité et rapacité, on peut penser que l’exploitation excessive de la planète va se poursuivre quelques décennies encore, laissant des ressources insuffisantes, des déséquilibres planétaires aggravés, des populations en grand péril - avec des îlots de luxe et d’abondance hautement technicisés et sécurisés : en bref, un nouvel apartheid entre ultra-riches et déshérités avec, entre eux, un fort tampon de consommateurs plus ou moins satisfaits, inquiets et frustrés – l’ensemble impliquant un degré élevé de violences, de contrôles et de répressions.
 Déjà ces réalités marquent notre monde. En 2007, moins de mille milliardaires en dollars disposaient, selon le magazine Forbes, d’une fortune collective de trois mille trois cents milliards de dollars : ce qui correspond au montant de la consommation pendant neuf années du milliard de Terriens pauvres qui vivent avec un dollar par jour. En outre, sur tous les continents, comme dans les îles et les archipels, se met progressivement en place la coexistence d’aires d’opulence, sécurisées et protégées, et de zones de dénuement.
 Pour faire face aux déséquilibres et aux risques environnementaux, la mise en œuvre de nouvelles énergies et de nouvelles technologies raraît la voie royale. Mais un effort international coordonné et massif en ce sens n’a toujours pas été engagé et il faudra des décennies pour que commence à peser l’utilisation de celles qui auront été trouvées et choisies : c’est dire que pendant longtemps encore des installations qui portent atteinte à l’environnement vont continuer à fonctionner.
 Souvent des solutions simples et gérables par les habitants seraient efficaces et, un peu partout sont engagées en ce sens des initiatives locales, familiales ou communales. Mais hommes de pouvoir et firmes disposant des ressources de la technoscience tendent à privilégier des solutions lourdes et coûteuses, que ce soit pour l’énergie (le nucléaire), la lutte contre l’effet de serre (un bouclier/ parasol spatial) ou l’eau potable (des stations hautement sophistiquées de traitement des eaux usées des habitants de la ville, comme à Singapour). Et comme les firmes technoscientiques travaillent pour les demandes – présentes et futures - fondées sur du pouvoir d’achat, les maux dont souffre la Terre et les difficultés des populations démunies ne constituent pas leurs priorités premières.
 Dans ces conditions, la réponse technoscientique conduit à renforcer l’avance des pays les plus puissants et les plus riches et à privilégier les demandes des castes dirigeantes et possédantes et des classes disposant de pouvoir d’achat : elle se traduit par la mise sur le marché de nouveaux produits, objets ou services à contenu technoscientique apportant des améliorations ponctuelles dans un univers dégradé – alors que mieux vaudrait favoriser la recherche de solutions globales et l’émergence de réponses simples, faciles à gérer et peu coûteuses. En outre, ces réponses technoscientiques ne s’inscrivent pas nécessairement dans une logique de développement durable : la dangerosité du couple OGM/ herbicide (ou pesticide) est manifeste pour tous, sauf pour ceux qui en tirent profit ; la fabrication d’agrocarburants peut entrer, directement ou indirectement, en conflit avec les cultures vivrières ; le dessalement de l’eau de mer nécessite de l’énergie et produit de la saumure ; et on ne sait de quelles pollutions potentielles sont porteurs à terme les panneaux solaires, les moteurs à hydrogène ou les nanorobots...
 Enfin, jouent aussi les pesanteurs de l’histoire, les rancœurs et les frustrations : dans notre monde meurtri, injuste et radicalement disparate, la montée des violences, des peurs réciproques et de l’instabilité suscite en retour un renforcement des contrôles et des répressions - donc de nouvelles courses aux systèmes de surveillance et aux armements les plus sophistiqués. Face à la dégradation des ressources et à la montée des périls, les conflits risquent de se multiplier, laissant des contrées dévastées, des populations meurtries et de puissants désirs de revanche.
 Les États-Unis cherchent à conserver leur prééminence, y compris au prix du développement de nouveaux systèmes d’armes et d’un surarmement de l’espace. L’Europe et d’autres pays s’efforcent de sauvegarder leurs modes de vie et leurs cultures. La Chine et l'Inde - sous-continents milliardaires en hommes, désormais dotés de systèmes éducatifs, d’universités, de capacités de recherche, d’armes nucléaires et de grandes firmes technoscientiques - sont à la fois poussées par le désir de leurs populations de vivre mieux et tirées par la volonté de leurs dirigeants de peser dans le monde ; l'Inde paraît prendre son temps, mais la Chine semble vouloir brûler les étapes.
 Bien des sources de tensions et d’affrontements existent ; de même qu’on ne peut jamais exclure une grande crise économique et financière, on ne peut pas exclure un conflit armé à dimension continentale ou planétaire.
 Beaucoup va se jouer dans le monde islamique : là, de l'ouest de l'Afrique aux confins du sud-est de l'Asie, montent dans différents pays l’insatisfaction et parfois la colère de multitudes aux limites du dénuement et de jeunesses sans perspectives ; certes, l'islam est, pour beaucoup, une religion prônant la bienveillance, la modération et la tolérance ; il peut très bien s'accommoder du capitalisme comme il l'a fait de l'économie de marché. Mais il peut aussi être instrumentalisé pour constituer une force capable de fédérer le rejet de l'Occident blanc et chrétien, de son arrogance, de son mode de vie, de ses lois, de son droit et de ses valeurs : soit d'une manière douce en condamnant les ressorts de la société du “toujours plus, toujours nouveau” au nom de la frugalité, de la charité et de la solidarité, soit d'une manière violente à travers la lutte armée et le terrorisme.
 Au total, ces tendances lourdes conduisent vers le milieu du siècle à une Terre et une nature profondément dégradées, à des sociétés désarticulées par d’excessives inégalités, à un monde fracturé entre des pays, des régions et des zones internationales disparates en puissance comme en richesses : un monde où s’égrène un chapelet de terres d’opulence, fortement protégées, réservées à la caste internationale des Happy few du pouvoir et de l’argent ; un monde stigmatisé par des aires de dénuement et d’extrême misère rigoureusement surveillées et cantonnées.
 Ce n’est certainement pas là le devenir que souhaitent la majeure partie des humains. Or c’est vers lui que nous allons. Pour y échapper, nous devons, comme beaucoup nous y ont exhorté, placer la responsabilité au cœur de nos choix.
 Nous, humains, individuellement et collectivement, sommes responsables : de tout. Nous sommes responsables du monde tel qu’il va, de l’homme, de l’Humanité, du Vivant, de la Terre, de l’avenir.
 Nous sommes responsables de l’engrenage dans lequel nous somme pris, de ses conséquences actuelles, des désastres vers lesquels il conduit.
 Or, nous sommes à un point tout à fait exceptionnel de notre histoire.
 Du fait des prodigieux progrès des transports et des communications, toutes les civilisations sont en contact, peuvent dialoguer, coopérer, se confronter ou s’affronter. Toutes les cultures, les contrées, les pays, les nations et les peuples ont de permanentes occasions d’échanger, de se comprendre, de s’accorder ou de s’opposer.
 Et nous nous trouvons précisément face à des problèmes planétaires : le dénuement d’une part importante des habitants de la Terre, les pénuries annoncées d’eau potable, l’épuisement de ressources, la disparition d’espèces et le recul de la diversité biologique, le changement climatique, les atteintes à la couche d’ozone, l’épuisement des sols et la désertification, le surarmement, les risques induits par la nouvelle puissance que donnent les nouvelles avancées technoscientiques… ; des problèmes qui mettent en jeu l’humain et ses rapports avec ce que l’on a longtemps nommé, et que certains appellent encore, la Création ou la Nature ; des problèmes si graves et si urgents, que le devenir de la Terre, du Vivant et de l’Humanité dépend des solutions que nous leur apporterons.
 À travers ce que nous allons faire dans les prochaines décennies, se joue ce qu’il va advenir de cet ensemble exceptionnel : cette Terre unique, porteuse de formes de vies très probablement uniques, parmi lesquelles la vie humaine.
 Nous sommes à un carrefour que nous ne retrouverons jamais : pour la première fois, tous les cheminements humains se joignent ; pour la première fois, le devenir de la Terre est en jeu ; pour la première fois, une orientation générale doit être choisie par les hommes et de ce choix dépend notre avenir à tous.
 C’est un carrefour sublime : car, de la fascinante diversité de l'histoire humaine, toutes les voies encore pratiquées débouchent sur lui ; mais aucune carte, aucune loi, aucune autorité, aucune fatalité ne détermine l’orientation que nous allons prendre. Certes, il y a des pesanteurs, des contraintes, des tendances lourdes. Mais rien n'est écrit. Parce que nous sommes humains, porteurs de conscience et capables de responsabilité, tout peut encore advenir.
 C'est difficile à concevoir, mais il faut l'assumer : nous sommes responsables de notre devenir et de celui de la Terre. Tout dépend de nos choix : macrodécisions - des États (et d'abord des plus puissants), des Firmes (les plus grandes, les plus dynamiques, les plus innovantes), des grandes organisations - mais aussi innombrables décisions d'acteurs de moindres tailles, jusqu’aux milliards de décisions individuelles. Nous – simples citoyens du monde et hauts dirigeants, porteurs d’inquiétude ou d’espérance, de rêves ou de projets, de pépites de bienveillance, d’amitié ou d’amour – avons l’urgente obligation de nous surpasser, d’élever notre humanité, notre qualité humaine.
 La riche, tragique, meurtrière et merveilleuse aventure humaine peut encore retomber en barbarie, violences et destructions ; elle peut aussi s'enfoncer dans un ou deux siècles de plomb ; elle peut rebondir, une fois les principaux périls écartés ou surmontés, les principaux défis maîtrisés et l'Humanité unifiée dans le respect de ses différences et la sauvegarde de la Terre.
 Mais, dans le monde qui est le nôtre - soumis à l’argent et aux puissances, disparate, déchiré, travaillé par l'égoïsme, la rapacité, la volonté de dominer, le mépris et la violence - seule une large et puissante coalition humaine pour un monde plus humain pourra permettre de sortir les sociétés humaines de l'ornière tragique où elles s'embourbent. Une telle coalition n’est possible que si l’objectif est clairement défini, si la faisabilité en est affirmée, si les voies et moyens sont esquissés et des étapes proposées. Bref, si est conçue et construite collectivement, une “stratégie pour un monde plus humain sur une Terre vivante”.
 D’innombrables acteurs - des groupes locaux aux États et aux organisations et institutions internationales – œuvrent déjà en ce sens. D’innombrables actions ont été menées à bien, sont en cours ou en projet. Les forces et les volontés les plus diverses sont prêtes à s’y joindre ou à participer à de nouvelles initiatives. La préparation et la mise en œuvre d’une telle stratégie démultipliera les énergies, renforcera les convictions et suscitera des synergies – peut-être inattendues.
 Nous ne savons pas aujourd'hui quelles seront, au milieu du XXIe siècle, les principales énergies utilisées. Mais nous savons que nos sociétés ne seront pas les mêmes selon que prédominera une énergie nucléaire ultra-puissante et dangereuse ou une gamme d'énergies décentralisées sans effets négatifs durables sur les humains, la Terre et le Vivant.
 Nous ne savons pas quelles vont être les avancées de la science et de la technique dans les domaines essentiels de la matière et de la vie, ni quels usages les sociétés humaines auront choisi d'en faire : nous ne le savons pas, en partie parce que ces avancées dépendent des choix que nous (consommateurs et citoyens) mais aussi les méga-décideurs (États et Très grandes firmes) allons faire.
 Une stratégie pour un monde humain ne peut donc pas décrire ce que seront nos sociétés dans quelques décennies. Mais elle peut permettre d’éviter le pire et d’aller vers un monde moins inégal, moins dur pour les faibles, plus riche de contacts et de connaissances, plus respectueux de la Terre et du Vivant. Dans cette perspective, s’imposent à nous quelques objectifs majeurs pour les prochaines décennies.
• La Paix, l'extinction des luttes armées et plus largement le recul des violences et de l'insécurité : c'est certainement ce à quoi aspirent le plus largement les humains. Il faut avoir le courage et l’audace de remettre cet objectif au cœur de nos préoccupations et de nos décisions. Une meilleure connaissance réciproque doit y contribuer à travers une meilleure compréhension entre les peuples.  Mais il faudra aussi désamorcer les sources de conflits historiques et dénouer des tensions plus récentes. L'accès à une vie meilleure et la réduction des inégalités seront également d’essentiels facteurs de paix.
• Bien vivre, jouir de sa vie : voilà aussi une aspiration profonde et largement partagée. Beaucoup dans les sociétés passées y sont parvenus : même avec une production limitée, le bien vivre, la sécurité et un certain degré d'aisance pouvaient être atteints, dès lors que les besoins restaient modestes. Pour les prochaines décennies, le plus urgent sera de faire reculer la misère et l’extrême dénuement dans le monde : aider chaque groupe ou société concerné à assurer la satisfaction de ses besoins fondamentaux. Il faudra aussi garder notre Terre vivante, éviter la généralisation des espaces de vie artificiels où l'eau, l'air, le silence, le bruit du vent et le chant des oiseaux, tout serait reproduit artificiellement. Sauvegarder la Terre et respecter le Vivant me paraissent des conditions essentielles. La qualité et la diversité de l'alimentation, le contact avec la vie animale et végétale sont indispensables à l’épanouissement de la qualité humaine comme au bien vivre : et là, la Terre est irremplaçable.
• S'accomplir au cours de sa vie, croître en connaissances, en talents et en sagesse sont aussi des démarches essentielles qui font que la vie vaut d'être vécue : nos sociétés d’opulence ont quelques décennies pour se défaire de l'addiction au « consommer toujours plus et toujours nouveau ». Il y a des centaines d'autres bonnes raisons de vivre : dès qu'un certain niveau de confort est atteint, elles doivent s'affirmer et se substituer à la primauté accordée à la consommation - ce qui implique que nous apprenions à maîtriser la croissance de nos besoins et que nous inventions une société de pleine activité pour chacun qui ne dépende pas d’une incessante croissance économique. C'est ainsi que l'économie redeviendra la servante de la société : une société où l'humain aura trouvé (ou retrouvé) une place prééminente.
• Une Humanité solidaire, en paix sur une Terre vivante ; les technologies les plus modernes mises au service des besoins humains essentiels, avec le souci permanent d'éviter qu'elles ne génèrent de nouvelles pollutions ou de futurs périls ; une nouvelle dynamique des sociétés humaines trouvée grâce à une élévation de notre degré de responsabilité et d'humanité.
 Voilà quelques objectifs qui peuvent éclairer notre devenir et guider nos décisions. Ils devraient aussi permettre de s’arracher à la routine et à la médiocrité, de faire reculer l’insatisfaction et l’avidité, de surmonter bien des tensions et des crispations et, pour certains, d'accepter les nécessaires efforts et sacrifices. Et ils pourraient aider chacun à changer son regard, tant sur le monde que sur sa propre vie.
 Utopie, utopies…
 Certes.
 Mais cette perspective me paraît susceptible de nous arracher à l’engrenage qui mène à une Humanité déshumanisée sur une Terre dénaturée. Elle pourra permettre aux jeunes de tous âges du monde entier de concevoir et d’accomplir de formidables projets.

Michel Beaud
http://www.michelbeaud.com


Beauval, septembre 2008


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