Habemus terram
(début avril 2005)

La mort du pape a été annoncée le samedi - jour de Marie - 2 avril. Tout au long des trois jours précédents, une large part de l’information a été consacrée à son agonie : champion de la médiatisation au cours de son long pontificat, Jean-Paul II aura eu une fin de vie placée sous les projecteurs de l’actualité. Depuis son opération, toute apparition publique, le moindre geste, l’effort pour parler malgré la trachéotomie, les expressions de souffrance, tout faisait événement. Après son “retour dans la maison du Seigneur”, a commencé le temps des bilans : du soutien aux efforts d’émancipation à l’égard du communisme et du joug soviétique en Europe de l’Est, à la mise au pas du mouvement de la théologie de la libération en Amérique latine ; de la double condamnation du communisme et du capitalisme libéral, à un discours rituel en faveur des pauvres et des déshérités ; des prises de positions très fermes contre l’avortement, la contraception et le clonage, à l’exclusive préconisation, pour lutter contre le sida, de l’abstinence, du mariage tardif et de la fidélité conjugale ; du dialogue avec les autres religions, à d’incessantes évocations de la paix dans un monde où se multiplient les violences...
Quelques jours avant cette mort, a été publié un rapport commandé par l’ONU sur l'état des écosystèmes terrestres. Plus de 1 300 scientifiques y ont travaillé. Les conclusions en sont terribles.
“L'activité humaine exerce une telle pression sur les fonctions naturelles de la planète que la capacité des écosystèmes à répondre aux demandes des générations futures ne peut plus être considérée comme acquise”, estime le comité directeur du projet cité par Le Monde. “Environ 60 % des écosystèmes permettant la vie sur Terre ont été dégradés” ; cette dégradation “a été plus accentuée au cours des cinquante dernières années que dans toute l'histoire de l'humanité et ne pourra que s'aggraver au cours des cinquante prochaines” ; en outre, les écosystèmes où vivent des populations pauvres, directement dépendantes de l’environnement naturel, sont de plus en plus touchés et les dégradations accélérées en cours vont de plus en plus déboucher sur des “changements non linéaires” - saturation, épuisement disparition...
Inquiétantes chutes des ressources en bois, forêts, poissons de mer ou d’eau douce et, dans certaines régions des ressources en eau ; amenuisement des capacités de l’air à se régénérer ; multiplication par mille en quelques siècles du taux d’extinction des espèces animales et végétales et, du fait du déclin des insectes et oiseaux polinisateurs, amenuisement dans certaines régions de la productivité des plantes et des arbres ; dérégulation et dérèglements du climat, aggravation pour les populations des risques tenant aux catastrophes naturelles, retour en force de certaines maladies infectieuses : du fait de cette dégradation des écosystèmes, les objectifs du Millénaire risquent de pas être atteints, les inégalités entre les peuples continuant à se creuser et la pauvreté à s’aggraver. C’est donc le devenir du vivant et l’avenir de l’humanité qui sont en jeu.
A l’aune de ce qui a été diffusé sur les derniers jours du pape, sur sa mort et sur sa succession et compte tenu de la gravité des maux dont souffre la Terre, des programmes d’information intensive devraient être diffusés sur ces sujets pendant des décennies ; à quoi devraient s’ajouter un effort accru du système scolaire en ce domaine et une réelle et profonde implication de tous les décideurs, notamment des politiques et dirigeants d’entreprises.
Mais ceux qui tentent depuis des décennies d’alerter contre les menaces sur le devenir de notre planète, du vivant et des sociétés humaines, savent combien sont profonds et tenaces les refus d’écouter, de prendre en compte et finalement de prendre les dispositions et les mesures qui devraient s’imposer. Cependant, une large prise de conscience et de responsabilité est nécessaire, de chaque citoyen et chaque famille aux dirigeants nationaux et mondiaux. Gaspillages et consommations dévastatrices devront être traqués et bannis, ce qui implique une réduction drastique des inégalités qui se sont creusées dans les dernières décennies. Le sens de la simplicité, de la frugalité et de l’essentiel devra être reconstruit là où il a été dévalué ou détruit. Ainsi seulement, enfants, jeunes et adultes pourront, dans quelques générations, se réveiller en s’émerveillant : “Habemus terram !”


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