Utérus d’avril
(début avril 2005)


Dans un entretien publié dans Libération [des 2-3 avril, p. 46-7], Henri Atlan, enseignant de biophysique et penseur en bioéthique, qui vient de publier l'Utérus artificiel au Seuil, explique que le mot “ectogenèse” a été créé en 1923 pour “désigner une technique permettant le développement des embryons humains hors des corps des femmes, depuis la fécondation jusqu'à la naissance”. Déjà des efforts sont menés en ce sens et expérimentés sur des animaux : “Il s'agit de fabriquer un placenta artificiel. C'est une technique de bricolage compliqué, mais il n'y a pas d'élément fondamentalement impossible (…). Il s'agira d'une façon nouvelle de faire des enfants (…, qui) sera reçue et vécue par une partie importante des femmes comme un moyen de libération des contraintes de la grossesse”. Avec cette novation, s’achèvera “la révolution de la condition féminine”, largement engagée au siècle dernier, notamment “grâce à la contraception, à la libération de l'avortement, mais aussi à la machine à laver (…)”. Il dit s’inquiéter pour le “devenir des enfants nés de cette façon-là, et leur éducation” ; mais, interrogé sur “le relationnel durant la période de la vie intra-utérine”, il noie le poisson : “On ne sait pas grand-chose de la vie intra-utérine”, et puis, il existe “une grande capacité d'adaptation des foetus” et “il n'est pas impossible (…) que les foetus s'adaptent aux conditions d'un environnement artificiel” ; bref, les embryons n’auront qu’à faire avec. Car enfin, ne peut-on pas entrevoir, estime-t-il, grâce à l'utérus artificiel, la fin de la malédiction promise à la femme d’“enfanter dans la douleur” et même, peut-être “la fin de la guerre des sexes...”
Lus dans un roman, genre Dr F. Jr (la revanche du fils de Frankenstein), ces propos pourraient amuser. Venant de médecins de régimes totalitaires, ils provoqueraient d’énergiques et définitives condamnations. Tenus par un éminent spécialiste qui a longtemps siégé au Comité consultatif national d'éthique, ils m’apparaissent désolants et irresponsables. Le devenir de l’humain et du monde, doit-il être d’abord déterminé par les possibles créés par la technoscience ? Ne doit-il être, pour l’essentiel, esquissé et choisi par les hommes et les femmes en société ? Or, y a-t-il beaucoup de femmes qui aspirent à être délivrées “des contraintes de la grossesse” et de la “malédiction” de l’enfantement “dans la douleur”, au point d’être prêtes à confier à un utérus artificiel la gestation de leurs futurs enfants ? Plus largement, quand on sait l’état de la planète et les périls qui pèsent sur le vivant et les sociétés humaines, n’y a t-il rien de plus utile à faire que d’aider à ouvrir la voie à l’ectogenèse ?
Mais peut-être, me suis-je laissé piéger. Peut-être, s’agit-il d’un énorme canular, ou d’une pique ironique à l’encontre d’irresponsables apprentis-sorciers fascinés par la technoscience. A moins qu’il s’agisse d’un facétieux poisson d’avril publié avec 24 heures de retard?


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