Dans un entretien publié
dans Libération [des 2-3 avril, p. 46-7], Henri Atlan,
enseignant de biophysique et penseur en bioéthique,
qui vient de publier l'Utérus artificiel au Seuil,
explique que le mot “ectogenèse” a été
créé en 1923 pour “désigner une
technique permettant le développement des embryons
humains hors des corps des femmes, depuis la fécondation
jusqu'à la naissance”. Déjà des
efforts sont menés en ce sens et expérimentés
sur des animaux : “Il s'agit de fabriquer un placenta
artificiel. C'est une technique de bricolage compliqué,
mais il n'y a pas d'élément fondamentalement
impossible (…). Il s'agira d'une façon nouvelle
de faire des enfants (…, qui) sera reçue et
vécue par une partie importante des femmes comme
un moyen de libération des contraintes de la grossesse”.
Avec cette novation, s’achèvera “la révolution
de la condition féminine”, largement engagée
au siècle dernier, notamment “grâce à
la contraception, à la libération de l'avortement,
mais aussi à la machine à laver (…)”.
Il dit s’inquiéter pour le “devenir des
enfants nés de cette façon-là, et leur
éducation” ; mais, interrogé sur “le
relationnel durant la période de la vie intra-utérine”,
il noie le poisson : “On ne sait pas grand-chose de
la vie intra-utérine”, et puis, il existe “une
grande capacité d'adaptation des foetus” et
“il n'est pas impossible (…) que les foetus
s'adaptent aux conditions d'un environnement artificiel”
; bref, les embryons n’auront qu’à faire
avec. Car enfin, ne peut-on pas entrevoir, estime-t-il,
grâce à l'utérus artificiel, la fin
de la malédiction promise à la femme d’“enfanter
dans la douleur” et même, peut-être “la
fin de la guerre des sexes...”
Lus dans un roman, genre Dr F. Jr (la revanche du fils de
Frankenstein), ces propos pourraient amuser. Venant de médecins
de régimes totalitaires, ils provoqueraient d’énergiques
et définitives condamnations. Tenus par un éminent
spécialiste qui a longtemps siégé au
Comité consultatif national d'éthique, ils
m’apparaissent désolants et irresponsables.
Le devenir de l’humain et du monde, doit-il être
d’abord déterminé par les possibles
créés par la technoscience ? Ne doit-il être,
pour l’essentiel, esquissé et choisi par les
hommes et les femmes en société ? Or, y a-t-il
beaucoup de femmes qui aspirent à être délivrées
“des contraintes de la grossesse” et de la “malédiction”
de l’enfantement “dans la douleur”, au
point d’être prêtes à confier à
un utérus artificiel la gestation de leurs futurs
enfants ? Plus largement, quand on sait l’état
de la planète et les périls qui pèsent
sur le vivant et les sociétés humaines, n’y
a t-il rien de plus utile à faire que d’aider
à ouvrir la voie à l’ectogenèse
?
Mais peut-être, me suis-je laissé piéger.
Peut-être, s’agit-il d’un énorme
canular, ou d’une pique ironique à l’encontre
d’irresponsables apprentis-sorciers fascinés
par la technoscience. A moins qu’il s’agisse
d’un facétieux poisson d’avril publié
avec 24 heures de retard?