… Pour l’heure, le fait majeur est celui-ci
: le monde occidental a engendré un mode de vie auquel
des milliards d’humains souhaitent ou veulent accéder
; cela s’est fait sur la base d’un mode de reproduction
des sociétés qui privilégie la production
de richesses marchandes, donc les détenteurs de pouvoir
d’achat - un mode de reproduction qui tend à
devenir celui de la plupart des sociétés contemporaines.
L’Humanité va longtemps avoir à vivre
sur la base d’un système porteur d’un
engrenage potentiellement fatal : il est donc essentiel
que nous apprenions à le maîtriser, à
l’endiguer - ce qui a été fait de différentes
manières à différentes époques,
dans divers pays d’Europe et des Amériques,
au Japon et dans quelques autres pays. Aujourd’hui,
c’est à l’échelle du monde qu’il
faut y parvenir.
L’enjeu est vital, décisif. La voie pour réussir
est jonchée de difficultés et d’obstacles
: face à la complexité à laquelle nous
sommes confrontés, la stratégie doit nécessairement
être plurielle, diversifiée, multidimensionnelle.
Un pouvoir mondial ne peut en venir à bout ; mais
des choix, des objectifs, des règles, des interdits
adoptés pour la Terre entière seront indispensables.
Des organisations par grandes régions du monde, avec
des coordinations entre elles, sans être des panacées,
seront également nécessaires. Beaucoup pourra
aussi être fait à partir des ensembles ayant
une cohérence socio-politique : États-Nations,
pays, entreprises, communautés (professionnelles,
nationales, religieuses, idéologiques ou politiques),
petites régions et autres collectivités territoriales,
jusqu’aux plus petites. Et il faudra en même
temps et d’une manière indissociable - puisqu’il
s’agit d’une autre face de la même réalité
- que les individus adoptent de nouveaux comportements,
assument de nouvelles responsabilités, affirment
de nouvelles exigences, et cela aussi bien comme citoyens
que comme créateurs, producteurs ou consommateurs
: comme éléments actifs et responsables d’un
monde, d’une Humanité, d’un Vivant, d’une
Terre - tous sous la menace de nombreux périls largement
suscités, rappelons-le, par les humains eux-mêmes.
Il va falloir vivre avec le capitalisme, dont la machinerie
sociale a permis et permet à beaucoup d’humains
d’assouvir leur désir de vivre mieux ; et en
même temps, il va falloir en limiter ou en bloquer
les effets les moins tolérables, pour en limiter
les dégâts et avancer le plus vite possible
vers un mode de reproduction soutenable et pour la Terre
et pour les hommes. Compte tenu de l’ampleur de la
tâche, c’est toute la gamme des acteurs qu’il
va falloir tenter de mobiliser, ce qui implique une prise
de conscience à la fois forte et très large
; et pour que des actions d’une grande diversité
entrent en synergie, est nécessaire une stratégie
très largement admise, une stratégie pour
un monde humain et responsable qui ne peut être, répètons-le,
que plurielle et pluridimensionnelle.
L'objectif que l'on peut proposer pour le XXI°
siècle est donc tout simplement de trouver, sur une
Terre qui demeure en bon état et vivante, les chemins
vers un “monde humain”; il correspond
à ce que souhaitent une multitude de gens simples;
il est à la fois raisonnable et réaliste tant
sont abondantes les ressources de notre temps; il peut être
très largement compris et adopté dans toutes
les parties du monde, tant est riche le fond commun des
humanismes, religieux et laïques, qui se sont développés
dans l'histoire humaine: de telle sorte que partout “humain”
évoque solidaire, conscient, responsable, équitable,
à quoi il faut ajouter une touche venue du cœur,
un sentiment de fraternité.
Cet objectif, clair et généreux, se situe
aux antipodes de ce vers quoi nous conduisent les évolutions
les plus dangereuses de notre temps: l'accentuation extrême
des inégalités, la dislocation des solidarités,
les processus de marginalisation de masse. D’où
l’impérieuse nécessité de cette
“stratégie pour une Terre vivante et un
monde humain”, qui sera plurielle, pluridimensionnelle
- plurinationale, pluricontinentale et mondiale - et devra
être portée par le plus grand nombre possible
: des plus démunis des zones de pauvreté aux
dirigeants des principales puissances ou des plus grandes
firmes et du consommateur lambda aux plus hautes autorités
religieuses, philosophiques ou scientifiques…
Cet objectif implique que soient définies un certain
nombre de priorités et de normes
…
S'agissant des moyens, nos sociétés
ont été capables de transformer profondément
les conditions de vie de milliards d’humains, de bouleverser
la planète, de mener des guerres meurtrières
et destructrices, de construire et d’accumuler des
armes terrifiantes, de déstabiliser les climats,
les équilibres planétaires, la reproduction
des espèces animales et végétales.
Ce serait désespérer de l’homme de penser
que, face à la situation actuelle, elles ne seraient
pas capables de mobiliser leurs capacités pour une
Terre vivante et un monde humain.
Nos pays ont été capables d’affecter
40 à 60 % de leurs ressources pour mener des guerres
dont pratiquement tout le monde reconnaît, après
coup, l’absurdité. Infiniment plus riches qu'il
y a 60 ans, les pays à hauts revenus pourraient aujourd'hui
fort bien mobiliser 20 à 25 % de leurs ressources
pour mettre le monde sur de meilleures voies. Le tout est
affaire de conscience et de prise de conscience, de choix,
de courage, de volonté et de ténacité…
Plus largement et à plus long terme, il va falloir
préparer avec les nouvelles générations
l'avènement d'une nouvelle civilisation, respectueuse
des équilibres de la Terre et du Vivant, centrée
non sur l’argent, le pouvoir d’achat et la marchandise,
mais sur les besoins vitaux de l’homme ; une civilisation
où la consommation ne sera plus au centre de l’existence
et où l'incessante création de nouveaux besoins
cédera la place à une manière de “frugalité
moderne”, permettant de retrouver le temps de
vivre et d'user au mieux de la large gamme des aménités
disponibles ; où la solidarité, l'échange,
la générosité, la réciprocité
ayant empêché l'avènement du règne
absolu du marché, celui-ci sera redevenu, comme l'économie,
un instrument au service des hommes et des sociétés.