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CAPITALISME, SYSTÈME NATIONAL/MONDIAL HIÉRARCHISÉ (SNMH) ET DEVENIR DU MONDE

mise en perspective rédigée à la demande du GIPRI (Genève), Cahier du GIPRI, no 4, L’Harmattan, 2006

… Pour l’heure, le fait majeur est celui-ci : le monde occidental a engendré un mode de vie auquel des milliards d’humains souhaitent ou veulent accéder ; cela s’est fait sur la base d’un mode de reproduction des sociétés qui privilégie la production de richesses marchandes, donc les détenteurs de pouvoir d’achat - un mode de reproduction qui tend à devenir celui de la plupart des sociétés contemporaines. L’Humanité va longtemps avoir à vivre sur la base d’un système porteur d’un engrenage potentiellement fatal : il est donc essentiel que nous apprenions à le maîtriser, à l’endiguer - ce qui a été fait de différentes manières à différentes époques, dans divers pays d’Europe et des Amériques, au Japon et dans quelques autres pays. Aujourd’hui, c’est à l’échelle du monde qu’il faut y parvenir.
L’enjeu est vital, décisif. La voie pour réussir est jonchée de difficultés et d’obstacles : face à la complexité à laquelle nous sommes confrontés, la stratégie doit nécessairement être plurielle, diversifiée, multidimensionnelle.
Un pouvoir mondial ne peut en venir à bout ; mais des choix, des objectifs, des règles, des interdits adoptés pour la Terre entière seront indispensables. Des organisations par grandes régions du monde, avec des coordinations entre elles, sans être des panacées, seront également nécessaires. Beaucoup pourra aussi être fait à partir des ensembles ayant une cohérence socio-politique : États-Nations, pays, entreprises, communautés (professionnelles, nationales, religieuses, idéologiques ou politiques), petites régions et autres collectivités territoriales, jusqu’aux plus petites. Et il faudra en même temps et d’une manière indissociable - puisqu’il s’agit d’une autre face de la même réalité - que les individus adoptent de nouveaux comportements, assument de nouvelles responsabilités, affirment de nouvelles exigences, et cela aussi bien comme citoyens que comme créateurs, producteurs ou consommateurs : comme éléments actifs et responsables d’un monde, d’une Humanité, d’un Vivant, d’une Terre - tous sous la menace de nombreux périls largement suscités, rappelons-le, par les humains eux-mêmes.
Il va falloir vivre avec le capitalisme, dont la machinerie sociale a permis et permet à beaucoup d’humains d’assouvir leur désir de vivre mieux ; et en même temps, il va falloir en limiter ou en bloquer les effets les moins tolérables, pour en limiter les dégâts et avancer le plus vite possible vers un mode de reproduction soutenable et pour la Terre et pour les hommes. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, c’est toute la gamme des acteurs qu’il va falloir tenter de mobiliser, ce qui implique une prise de conscience à la fois forte et très large ; et pour que des actions d’une grande diversité entrent en synergie, est nécessaire une stratégie très largement admise, une stratégie pour un monde humain et responsable qui ne peut être, répètons-le, que plurielle et pluridimensionnelle.

L'objectif que l'on peut proposer pour le XXI° siècle est donc tout simplement de trouver, sur une Terre qui demeure en bon état et vivante, les chemins vers un “monde humain”; il correspond à ce que souhaitent une multitude de gens simples; il est à la fois raisonnable et réaliste tant sont abondantes les ressources de notre temps; il peut être très largement compris et adopté dans toutes les parties du monde, tant est riche le fond commun des humanismes, religieux et laïques, qui se sont développés dans l'histoire humaine: de telle sorte que partout “humain” évoque solidaire, conscient, responsable, équitable, à quoi il faut ajouter une touche venue du cœur, un sentiment de fraternité.
Cet objectif, clair et généreux, se situe aux antipodes de ce vers quoi nous conduisent les évolutions les plus dangereuses de notre temps: l'accentuation extrême des inégalités, la dislocation des solidarités, les processus de marginalisation de masse. D’où l’impérieuse nécessité de cette “stratégie pour une Terre vivante et un monde humain”, qui sera plurielle, pluridimensionnelle - plurinationale, pluricontinentale et mondiale - et devra être portée par le plus grand nombre possible : des plus démunis des zones de pauvreté aux dirigeants des principales puissances ou des plus grandes firmes et du consommateur lambda aux plus hautes autorités religieuses, philosophiques ou scientifiques…
Cet objectif implique que soient définies un certain nombre de priorités et de normes
S'agissant des moyens, nos sociétés ont été capables de transformer profondément les conditions de vie de milliards d’humains, de bouleverser la planète, de mener des guerres meurtrières et destructrices, de construire et d’accumuler des armes terrifiantes, de déstabiliser les climats, les équilibres planétaires, la reproduction des espèces animales et végétales. Ce serait désespérer de l’homme de penser que, face à la situation actuelle, elles ne seraient pas capables de mobiliser leurs capacités pour une Terre vivante et un monde humain.
Nos pays ont été capables d’affecter 40 à 60 % de leurs ressources pour mener des guerres dont pratiquement tout le monde reconnaît, après coup, l’absurdité. Infiniment plus riches qu'il y a 60 ans, les pays à hauts revenus pourraient aujourd'hui fort bien mobiliser 20 à 25 % de leurs ressources pour mettre le monde sur de meilleures voies. Le tout est affaire de conscience et de prise de conscience, de choix, de courage, de volonté et de ténacité…
Plus largement et à plus long terme, il va falloir préparer avec les nouvelles générations l'avènement d'une nouvelle civilisation, respectueuse des équilibres de la Terre et du Vivant, centrée non sur l’argent, le pouvoir d’achat et la marchandise, mais sur les besoins vitaux de l’homme ; une civilisation où la consommation ne sera plus au centre de l’existence et où l'incessante création de nouveaux besoins cédera la place à une manière de “frugalité moderne”, permettant de retrouver le temps de vivre et d'user au mieux de la large gamme des aménités disponibles ; où la solidarité, l'échange, la générosité, la réciprocité ayant empêché l'avènement du règne absolu du marché, celui-ci sera redevenu, comme l'économie, un instrument au service des hommes et des sociétés.

 


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