Dans le Monde du 26 octobre, un haut
dignitaire de l’assurance dénonçait les “ayatollahs
de la prudence”; récemment, la Commission pour la libération
de la croissance envisageait de limiter l’application du
principe de précaution : face aux avancées esquissées lors
du Grenelle de l’environnement, certains s’inquiètent et
allument des contrefeux. Pendant plus d’un siècle, ceux
qui tentaient d’alerter face aux dégâts d’une croissance
non maîtrisée ont été dénoncés comme “ennemis du progrès”,
“doux rêveurs” ou “écolos irresponsables”.
Aujourd’hui, de puissants lobbies défendent des situations
acquises, notamment en bloquant le débat sur le nucléaire,
ses risques et ses coûts de long terme, en niant nos responsabilités
dans le changement climatique, ou en minimisant les risques
potentiels induits par l’hypercommunication, le génie génétique
ou les nanotechnologies. Pourtant, la leçon des deux derniers
siècles est claire : toute technologie est porteuse de bienfaits
et de méfaits. Et plus puissante est la technologie plus
importants sont ses effets. D’où une obligation accrue de
prudence. D’autant que, depuis vingt ans, la situation de
la planète s’est profondément dégradée, comme le montre
un très récent bilan d’organisations des Nations unies.
En 1987, le Rapport Brundtland avait alerté. En 1992, la
Conférence internationale de Rio avait énoncé des principes
et tracé des voies d’action. Mais le manque d’engagement
de la majorité des dirigeants des États et des firmes des
pays riches, la négation des dégâts ou des risques - ou
de trop longs refus à les reconnaître (atteintes à la couche
d’ozone, amiante...), des déclarations grandiloquentes (“La
Terre brûle”…) lancées sans mise en œuvre de politiques
conséquentes, ont conduit à la très difficile situation
actuelle: une situation sur laquelle pèsent désormais les
croissances des zones dites “émergentes” et les
pauvretés dont souffrent des milliards d’humains. Aujourd’hui,
les sociétés humaines constatent qu’il faudrait plusieurs
Terres pour que tous participent au banquet de la consommation
sans frein. Nous voici à un “carrefour sublime”:
pour la première fois, les destinées de l’Humanité et de
la Terre dépendent principalement des choix humains. Plus
que jamais, la responsabilité humaine doit être affirmée
et assumée. Bien des issues sont encore ouvertes. L’apartheid
fondé sur les inégalités actuelles ne peut que nourrir frustrations
et affrontements. Certains prônent la décroissance: ne vaudrait-il
pas mieux élargir les chemins d’une frugalité postmoderne
? D’autres pensent en silence à une réduction drastique
de la population mondiale. D’autres mettent toute leur confiance
dans de nouvelles technologies hyperpuissantes, en préférant
ignorer que celles-ci seront porteuses de méga-risques.
Reste une voie humaine : mobiliser toutes les techniques
à faible dangerosité - des plus traditionnelles aux plus
novatrices - ainsi que les énormes ressources que nous gaspillons
dans le surarmement, l’ostentation et la surconsommation,
pour faire face aux urgences de notre temps et permettre
l’émergence de sociétés modernes qui n’écrasent pas les
humains mais permettent l’épanouissement de leur humanité
- seul moyen, sans doute, d’éviter un nouvel âge de conflits
et de barbarie. Cela implique, sur la base d’une élévation
de la qualité humaine et de l’esprit de responsabilité,
une mobilisation équivalente à celle de la dernière guerre
mondiale, mais menée sur un objectif commun à l’échelle
de la planète.
Michel et Calliope Beaud .