Billet d'un jour

Ces billets sont écrits en réaction à des évènements, des propos significatifs (du fait de leurs auteurs ou de leurs contenus), des décisions prises ou éludées. Ils peuvent aussi être l’expression d’une inquiétude, d’une irritation ou d’une colère. Je peux même m’autoriser de temps à autre un épanchement d’humanisme ou un appel à telle ou telle des valeurs qui font la qualité humaine...



La démocratie dévoyée


 Lequel de nos éditeurs français qui ne cessent de se répandre en plaintes et geignements à propos de la crise du livre de sciences humaines aurait accepté le projet de cet ouvrage ? Pensez donc : un volume de 672 pages, dont 66 de notes, 28 d’index et 8 de remerciements ! Un ouvrage dont le titre - La Stratégie du choc - et le sous-titre - La montée du capitalisme du désastre - risquent de heurter  trop de sensibilités. Un livre dans lequel l’auteure, Naomi Klein, traite dans un même mouvement  de la CIA et de l’école de Chicago, de la torture et des ravages de l’extrême libéralisme, de l’Indonésie, du Chili, de la Russie et de l’Irak, de Milton Friedman, des présidents Bush et de leurs redoutables entourages.
  Ainsi, la doctrine du choc et la mise en œuvre d’une violence aux multiples formes ont largement sous-tendu tant les stratégies internationales de plusieurs présidents républicains - du coup d’État contre Allende à l’invasion de l’Irak - que leurs politiques menées dans leur propre pays - des privatisations (de la santé, de l’enseignement, de la sécurité...) à la systématique exploitation de la menace, du désastre et de la peur, après le 11 septembre comme après l’ouragan Katrina.
  On ne peut, hélas, en parler au passé. Selon le Guardian et d’autres, au moins 17 bateaux-prisons sont encore en activité dans le monde pour permettre aux services américains de garder en détention et soumettre à leurs questions, à l’abri de tout contrôle judiciaire ou autre, un intarissable flot de suspects-terroristes. Ils seraient encore 26 000 à être détenus dans des prisons secrètes, dans lesquels plus de 80 000 auraient transité depuis 2001.
  Ce qui ôte toute légitimité au président Bush et à ses séides pour prôner la Démocratie et les Droits de l’homme de par le monde. Et ce qui, par contrecoup, affecte la crédibilité de l’ensemble des dirigeants de pays démocratiques demeurés muets face à ces dérives mafieuses.


    Mardi 3 juin  2008

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La faute au système ?


 Après l’émission Terre à terre de ce matin, j’écris à Ruth Stegassy.
  “Nos communes préoccupations pour le devenir de la Terre, du Vivant et des sociétés humaines et notre commune obstination à contribuer à élargir et approfondir la prise de conscience des périls et des enjeux m'incitent à vous mettre ce mot - en partie à la suite de votre émission de ce matin.
 “Certes, il faut dénoncer le "système", le libéralisme, la spéculation, la pression financière, l'inertie des politiques, l'enlisement démocratique, l'ambivalence des technologies, etc. Certes, il est bon de mettre en lumière et valoriser les actions, réalisations et techniques s'inscrivant dans un dialogue avec la nature, les luttes contre ce qui la détruit ou la menace, les contestations et les révoltes.
   “Mais d'année en année la situation s'aggrave, les processus s'accélèrent : de plus en plus, nous nous heurtons à des limites qui restreignent nos choix ; et les prédicateurs d'un développement durable "cool" (obtenu sans efforts, ni remises en cause, ni sacrifices) font obstacle à la nécessaire prise de conscience.
  “Or nous sommes confrontés à une situation marquée par :
- les fragilités de la Terre et du Vivant face à nos capacités productives et notre puissance technoscientique ;
- des inégalités abyssales, insupportables dans un monde où se généralise la nécessité d'acheter pour vivre ;
- une exceptionnelle concentration du pouvoir dans quelques grands Etats et une constellation mouvante de puissances économiques et financières ;
- et, last but not least, le fait que dans les sociétés riches la consommation est devenue à la fois le premier mobile des individus et le principal ciment social.
“D'où l'engrenage fatal dans lequel nous sommes entraînés :
- avec l'incessante création de besoins et de biens pour les détenteurs de pouvoir d'achat, alors que le nécessaire vital est loin d'être assuré pour des multitudes ;
- avec les transformations en cours dans les pays émergents qui vont rapidement conduire au doublement (de un à deux milliards) du nombre de "consommateurs modernes" dans le monde ;  
- avec des "avancées" technologiques conduites non en fonction des urgences de la Terre et du monde, mais des besoins solvables des détenteurs de pouvoir d'achat ;
- et finalement avec, malgré les mesures et les efforts en sens inverse, plus de prélèvements, plus de pollutions, plus de dégradations (des sols, des eaux, des océans), plus d'espèces vivantes menacées...
  “C’est pourquoi :
1/ Est désormais nécessaire une stratégie nationale/ mondiale pour faire face aux urgences du monde en assurant la convalescence de la Terre : y transférer progressivement les ressources actuellement consacrées à l'armement pourrait être rendu possible grâce à une politique plus active pour la paix. La Terre et l'Humanité ne sont-elles pas en danger ?
2/ Si l'on veut stopper l'engrenage, il ne suffit pas de s'en prendre au "système", au libéralisme, à la spéculation, à la finance et aux politiques ; il nous faut apprendre à nous débarrasser de notre conditionnement de consommateurs en quête de "toujours plus, toujours nouveau", laisser s'épanouir d'autres motivations pour la vie en société et travailler à l'émergence d'une frugalité post-moderne...”


    Samedi 17 mai 2008

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America über alles ?


 “La CIA serait autorisée à contourner le droit international”, “Torture: ‘la loi peut être violée’ (USA)”, “États-Unis - La CIA fait fi du droit international”, titrent respectivement le Monde, le Figaro, et le Devoir. Tous trois tirent leurs informations du New York Times et du Washington Post.
  L'été dernier, le président Bush avait publié un décret selon lequel la CIA devait respecter les conventions internationales sur le traitement des détenus. Mais le mois dernier, il a opposé son veto à un texte visant à interdire à la CIA de recourir à des méthodes d'interrogatoire susceptibles d’être considérées comme de la torture, telle que la simulation de noyade. Différents courriers ont alors été diffusés par le département de la justice, dont certains ont été rendus publics par les services d’un sénateur démocrate : dans une lettre datée du 5 mars, Brian Benczkowski, assistant de l'Attorney général, précise que “le fait qu'une action soit entreprise pour prévenir une menace d'attaque terroriste, plutôt que [par] volonté d'humiliation ou d'abus, devrait être relevé par un observateur raisonnable pour mesurer le caractère outrageux de cette action”. En clair : dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, des agents pourraient, sans crainte d’être mis en cause, recourir à des méthodes prohibées par des conventions internationales.
  Incorrigible Bush. Jusqu’au bout il aura biaisé, rusé pour que les USA, leurs troupes et leurs agents demeurent au dessus de la loi internationale.


    Dimanche 27 avril 2008

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De nouvelles vues sur l’agriculture ?


  En lisant le  Monde et Swissinfo.ch. Travaillant dans une démarche analogue à celle du Giec pour l’examen du problème du changement climatique, un groupe réunissant plus de 400 experts internationaux a travaillé sur l’Evaluation internationale des sciences et technologies agricoles au service du développement (Eistad). Son travail, soutenu par la banque mondiale et la FAO, a débouché sur un rapport qui a été  approuvé le 12 avril, à Johannesburg, par les représentants de 59 gouvernements ; les États-Unis, le Canada et l'Australie ont émis des réserves, notamment sur le rôle insuffisant à leurs yeux, accordé au marché et aux biotechnologies ; des firmes multinationales comme Monsanto et Syngenta s'étaient dissociées de ce travail.
  Dégageant les lignes de force d’un rapport de quelques 4 000 pages, le Français Michel Dodet, de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), souligne qu’il “propose une réorientation autour des savoirs locaux et communautaires, afin de retrouver une autosuffisance alimentaire. On ne peut pas jouer sur le seul facteur de la technologie”. Pour l'agronome suisse Hans Rudolf Herren, le groupe a abouti après quatre ans de travaux à la conclusion que la production alimentaire actuelle n'est pas durable : “Les crises alimentaires vont augmenter tant qu'on poursuit sur la lancée actuelle, prédit l'agronome. Nos méthodes épuisent les sols et consomment trop de pétrole. Le changement climatique accentue les sécheresses et les inondations. Les politiques agricoles, le commerce mondial libéralisé et les agrocarburants défavorisent l'alimentation des plus pauvres. Aujourd'hui, l'humanité grignote son capital-terre”.
  “Il y a une ignorance collective sur l'interaction entre l'agriculture et les systèmes naturels, estime Achim Steiner, directeur du Pnue, et ceci doit changer”.
  Hélas, si l’on considère les immenses programmes de nouvelles cultures chimico-génétiques lancés par l’agrobusiness un peu partout dans le monde - souvent à l’encontre des paysanneries locales - on a le sentiment que de puissantes forces continuent à pousser l’agriculture dans la direction avec laquelle le rapport et ses auteurs nous invitent à rompre...


    Mercredi 16 avril 2008

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Crime contre l’humanité


  En lisant Libération et Reuters : face aux émeutes de la faim (voir mon "billet" du 11 ), Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, s’indigne : “Quand le prix du riz flambe de 52 % en deux mois, celui des céréales de 84 % en quatre mois, et quand le prix du fret explose avec celui du pétrole, on précipite 2 milliards de personnes sous le seuil de pauvreté”. Il voit les responsabilités “principalement dans l’indifférence des maîtres du monde, pays riches ou grands émergents. Les opinions publiques s’offusquent-elles de la famine dans le nord de l’Inde, comme il y a deux ans, ou des populations du Darfour ?”.  Et il  dénonce : “Quand on lance, aux États-Unis, grâce à 6 milliards de subventions, une politique de biocarburant qui draine 138 millions de tonnes de maïs hors du marché alimentaire, on jette les bases d’un crime contre l’humanité pour sa propre soif de carburant…”.
  “Crime contre l’humanité” : j’espère que la formule va faire mouche.
Il y a longtemps que je pense et que je tente de faire admettre que nombre de réalités de notre monde, couramment acceptées, ont une dimension criminelle : des revenus qui se chiffrent en millions de dollars (ou des fortunes en centaines de millions ou en milliards de dollars), les excessifs budgets consacrés aux courses aux surarmement, les sommes consacrées et à faire vendre des médicaments aux effets nocifs, des produits d’usage courant dangereux pour la santé ou pour le vivant, des aliments, nutriments et boissons nuisibles, des armes et des drogues... Et tant que subsistent de par le monde ces capacités d’indignation et de protestation, il reste permis d’espérer.
  Il ne s’agit pas d’exclure toute production d'agrocarburants à partir de végétaux, mais d’en soumettre chaque forme à un double examen : un bilan écologique de sa production et de son utilisation (emprise sur les terres, émissions de gaz à effet de serre, utilisation d’eau...) ; et un bilan global humain, nécessaire dès lors que nous arrivons à des limites dans l’utilisation des ressources terrestres et que des arbitrages vont devoir être fait, dans l’usage des céréales et la mise en œuvre des terres, entre alimentation humaine de base, élevage et production de carburant.
  Et si cet arbitrage se fait essentiellement par le marché, il dépendra du rapport des pouvoirs d’achat : compte tenu des inégalités actuelles, ce sera l’alimentation de base de multitudes humaines qui sera sacrifiée.


    Lundi 14 avril 2008

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La FAO s’alarme


  “La facture des importations céréalières des pays les plus pauvres du monde” a augmenté de 37 % en 2006/2007 ; elle devrait augmenter de 56 % en 2007/2008 - de 74 % pour les pays d’Afrique à faible revenu et déficit alimentaire -, s’inquiète la FAO : “Les prix du pain, du riz, du maïs et de ses dérivés, du lait, de l'huile, du soja et d'autres produits de base se sont envolés ces derniers mois dans nombre de pays en développement. Et cela, malgré les mesures politiques prises (...)”.
  D’où des émeutes de la faim en Égypte, au Cameroun, en Côte d'Ivoire (où les prix du riz ont plus que doublé), au Sénégal (où les prix du blé ont doublé), au Burkina Faso, en Éthiopie, en Indonésie, à Madagascar, aux Philippines et en Haïti, tandis qu’au Pakistan et en Thaïlande, “l'armée a été déployée pour éviter le pillage de la nourriture dans les champs et les entrepôts”.
  “La hausse est due à l'envolée des cours internationaux des céréales, des tarifs du fret et du prix du baril de pétrole”, explique la FAO ; elle estime à un chiffre se situant entre 1,2 et 1,7 milliard de dollars les besoins de financements supplémentaires requis pour mettre en œuvre les programmes et projets dans les pays les plus affectés par la flambée des prix des denrées alimentaires : ces fonds “permettraient de procurer des intrants et des biens aux agriculteurs pauvres contribuant ainsi à doper la production alimentaire au cours de la prochaine campagne agricole”.

  Il est certes plus que temps de réhabiliter les cultures vivrières et de soutenir les politiques visant une autosuffisance pour les produits de base : que de dégâts causés en ces domaines par l’incurie de certains gouvernants, par les insuffisances de l’aide publique au développement et par la concurrence de denrées subventionnées du Nord ! Mais il y a des pays en déficit alimentaire durable ; il y à le gonflement des bidonvilles qui comptent aujourd’hui plus d’un milliard d’habitants ; il y a des humains sans ressources monétaires et dont des céréales forment l’aliment principal, mis en concurrence à travers les réseaux de marchés avec de nouveaux consommateurs de volailles et de viande d’Asie et, depuis peu, avec des automobilistes qui ont fait le choix des biocarburants...
  Si on n’y met le holà, notre monde va s’installer dans une nouvelle barbarie.



    Vendredi 11 avril 2008 

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Du micro-crédit au bien-vivre universel

 
  Prix Nobel de la paix 2006, infatigable promoteur du micro-crédit reçu hier par le président Sarkozy, Muhammad Yunus est ce matin l’invité de France Culture. Il parle de ses succès avec le micro-crédit dans les pays pauvres.
  Très bien !

  Il explique que cela peut aussi permettre de combattre la pauvreté dans les pays riches.
  Dans certains cas, pourquoi pas ? Car le micro-crédit n’est pas une panacée : c’est un outil qui donne une chance de mettre un pied dans le système marchand à ceux qui en sont exclus ; sans aucune garantie qu’ils ne retombent dans une forme ou une autre de pauvreté.

  Mais il y a plus. M. Yunus évoque sa nouvelle vision : un “nouveau capitalisme”, animé non par la recherche du profit mais par la compassion et le sens social.
  Là, ça ne va plus du tout ; les définitions du capitalisme sont diverses et variées mais toutes ont en commun un point et c’est précisément “la recherche du profit” ; alors un capitalisme sans profit c’est de la poudre aux yeux pour le bon peuple et de la bouillie pour les amateurs de pensée molle.

 
M. Yunus ne s’arrête pas là. Il prône “l’éradication de la pauvreté” : “Je veux que chaque pays érige son musée de la pauvreté, quand il aura éradiqué la pauvreté à l'intérieur de ses frontières. Cela semble fou, mais il est possible d'éradiquer la pauvreté. Si nous le voulons tous, on peut y arriver”, déclarait-il hier à Métro France.
  Or quiconque a quelque peu travaillé, ou tout simplement réfléchi - sur les sociétés humaines et leur histoire, l’économie marchande, le capitalisme, l’espérance socialiste et ses dévoiements - sait combien il est difficile de simplement réduire durablement la pauvreté. Alors, annoncer son éradication dans une période où les inégalités s’accentuent dans presque tous les pays, et atteignent un degré extrême dans le monde, est irresponsable et trompeur. Y a-t-il un nom pour qui sème de fallacieuses espérances ? Et n’est-ce pas une grave faute de le faire quand on bénéficie de l’aura du Prix Nobel de la paix ?

  Mardi 1er avril 2008 

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Le plein ou la vie ?

 
  Dans une interview au journal dominical NZZ am Sonntag publiée le 23 mars, Peter Brabeck,  PDG de Nestlé, premier groupe alimentaire mondial, déclarait : “Si l'on veut couvrir 20% du besoin croissant en produits pétroliers avec des biocarburants, comme cela est prévu, il n'y aura plus rien à manger” - une affirmation pour partie fallacieuse puisque ce sera pour des pauvres sans-terre qu’il “n'y aura plus rien à manger”. Dans la foulée, il met en cause la hausse des prix des céréales et le gaspillage accru de l’eau qu’entraînera la production de biocarburants :  pour produire un litre de bioéthanol il faut, selon lui, 4 000 litres d'eau.  
  Très vite s’est ouvert un débat, dont AlterNotre dégage les principaux temps, sous le titre “Rouler ou manger : faudra-t-il choisir ?”.
  Dès le lundi 24 mars, Arnaud Lemoine, représentant la FNSEA , dénonce des propos diffamants émis dans le seul but de "payer toujours moins cher les matières premières...". Mais, interviewé par France Info, Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation, reconnaît qu’en l’état actuel des choses - avec l’épuisement des ressources locales, la  consommation excessive d'eau et la spéculation - les biocarburants apportent plus de nuisances que de solutions durables. Et Mme Tanner, analyste matières premières au Crédit Suisse, confirme que les biocarburants sont pour l’essentiel à la source de l'augmentation des prix de produits tels que le blé, le maïs ou le soja - un phénomène qu’amplifie la spéculation...
  AlterNotre rappelle que cette hausse des prix avait été prévue en France, dès le début de 2006, tant par la Commission Interministérielle pour les Véhicules Propres et Économes (CIVPE) - qui préconisait la mise en culture d'environ 2 millions d'hectares de terres au profit des biocarburants - que par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) - qui estimait que la production pour les biocarburants ne se limiterait pas en France aux jachères, mais qu’elle entrerait en concurrence avec la production pour l’alimentation sur des terres jusqu’ici affectées à celle-ci.

  Il faut dire les choses clairement : en adoptant  l’option des biocarburants, on accepte que, dans les années ou les décennies qui viennent, l’approvisionnement en carburant des automobilistes contribuera à priver des populations pauvres d’aliments de base ou d’eau. En bref : le plein pour sa voiture ou la vie pour d’autres.
  Et le fait que cette conclusion rejoint le propos du PDG de Nestlé ne me gène pas.


  Jeudi 27 mars 2008 

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Une irresponsabilité illimitée ?

 
  Dans bien des villages, quand des gamins ont cassé des ampoules ou des vitres, ils sont semoncés et leurs parents indemnisent la commune. Et quand des jeunes ont été pris pour avoir dégradé ou incendié, ils sont souvent condamnés à des peines de prison. Mais voici qu’un “sale gosse” d’excellente famille, qui a fait bien pire, risque de s’en tirer avec quelques blâmes. Entraîné par sa bande, désireux peut-être de montrer à son père ce dont il était capable et de permettre à des potes à lui de faire quelques bons coups, il a engagé, il y a tout juste cinq ans, une expédition punitive contre un caïd qu’avait déjà affronté son père : facile, en quelque semaine l’affaire était pliée. Et le premier mai 2003, l’aventureux fils proclamait “la fin des opérations majeures de combat en Irak”.
  Aujourd’hui, ce dévot chef de clan est toujours dans sa bulle : malgré le “coût humain et financier élevé”, il  affirme ne rien regretter, assurant imperturbablement que "les succès que nous constatons en Irak sont indéniables". Son bras droit - un ami de son père à l’influence pernicieuse - le conforte sans la moindre hésitation : il évoque “une entreprise difficile, périlleuse, mais néanmoins couronnée de succès” et juge  “impressionnants” les progrès accomplis en matière de sécurité depuis sa précédente visite à Bagdad ; bien plus, à ceux qui lui rappellent que 66 % des Américains se disent maintenant hostiles à cette guerre, il rétorque sèchement : "Et alors? On ne va pas se laisser détourner de notre cap par les fluctuations des sondages". Ainsi, pour Cheney comme pour Bush le second, tout va bien !
  Près de quatre mille militaires américains tués et des dizaines de milliers gravement blessés ou profondément déstabilisés. Du côté des Irakiens, entre 100 000  morts et 1,2 million depuis mars 2003 et plusieurs millions de personnes déplacées, dans le pays ou vers des pays voisins. Selon le CICR, dans la plus grande partie du pays, la situation humanitaire reste “une des plus critiques au monde. À cause du conflit, des millions d'Irakiens ont difficilement accès à l'eau potable, à des installations sanitaires et aux soins de santé”...
  Tout va bien ! Le coût officiel des opérations militaires est de 4 à 500 millions de dollars, mais la note totale - avec notamment la reconstruction et les pensions des veuves et des grands blessés - pourrait atteindre 2 à 3 milliards. Avec sa politique clientéliste d’allégements fiscaux, l’administration Bush a laissé se creuser les déficits publics et des comptes extérieurs, et donc se gonfler l’endettement extérieur - un endettement qui, avec la crise des crédits immobiliers accordés au delà du raisonnable et l’injection de liquidités pour endiguer la crise bancaire, engendre la chute du cours du dollar. Compte tenu du fait que la production irakienne de pétrole commence tout juste à retrouver son niveau d’avant la guerre, bien des experts reconnaissent que celle-ci a contribué à la hausse du prix du pétrole.

  Tout va bien donc pour la très large gamme des firmes qui ont bénéficié de commandes ou participé au conflit. Tout va bien pour les firmes pétrolières qui ont réalisé des bénéfices records. Mais, au total, cette expédition punitive aura été une catastrophe pour l’Irak et les Irakiens, déjà gravement affectés par les conflits extérieurs et les politiques de sanctions. Elle aura été un facteur de dynamisation de l’islamisme radical et d’aggravation de l’instabilité dans toute la région. Et, en accentuant les déséquilibres et les dysfonctionnements de l’économie américaine et du marché pétrolier mondial, elle aura contribué à ouvrir une nouvelle phase, plus dure, de la crise économique mondiale. Quel tribunal pourra juger un jour les responsables de ce tragique gâchis ?

  Mercredi 19 mars 2008 

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Un glas funeste

 
  “L'OCDE sonne l'alarme sur l'état de la planète à l'horizon 2030”, titre le Monde. Le diagnostic établi dans les Perspectives de l’environnement de l’OCDE à l’horizon 2030  est implacable : “les émissions mondiales de gaz à effet de serre progresseront de 37 % d'ici à 2030 et de 52 % d'ici à 2050 si les pouvoirs publics n'adoptent pas de mesures nouvelles”. Et, parmi bien d’autres sources d’inquiétude, “un milliard de personnes de plus qu'aujourd'hui vivront dans des zones touchées par un stress hydrique prononcé en 2030 ; et les décès prématurés dûs à l'ozone troposphérique pourraient avoir quadruplé dans le monde à la même date”. Cependant, selon leurs auteurs, “les Perspectives montrent que relever les principaux défis environnementaux d’aujourd’hui – y compris le changement climatique, l’appauvrissement de la biodiversité, le manque d’eau et les impacts de la pollution sur la santé – n’est pas impossible ni inabordable”. Le secrétaire général de l'OCDE,  Angel Gurría, l’affirme : “les solutions aux grands problèmes d'environnement existent, elles sont applicables et elles sont abordables, notamment si on les met en regard de la croissance économique prévue et des coûts et des conséquences de l'inaction”.

  Bien des alarmes semblables ont été lancées dans les dernières décennies : des décennies de lâcheté et de déni au cours desquelles la situation est devenue bien plus difficile ; et plus dureront l’indécision et les tergiversations, plus elle empirera. Le secrétaire général de l'OCDE l’a si bien senti qu’il met en garde les décideurs : “Je vous préviens, si nous ne faisons rien, le tableau de notre planète en 2030 ne sera pas agréable à regarder”. Aimable litote : si dans les quinze ans qui viennent nous faisons trop peu, l’irréversible sera atteint dans bien des domaines ; et sur une Terre ravagée par nos excès, de plus en plus d’humains vivront de plus en plus durement.
  Certes des décisions mûrissent, des mesures sont prises, des effets positifs se manifestent : mais toujours trop peu et trop tard. De nouvelles sources de dévastation sont déjà à l’œuvre. Et ces alarmes réitérées sonnent comme un glas funeste : le glas d’une humanité de plus en plus entraînée dans le tourbillon du “vivre pour consommer” ; le glas de castes dirigeantes qui n’ont pas le courage de voir, d’expliquer et de mettre en œuvre ce qu’exige la situation.


   Jeudi 6 mars 2008

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Le choc d’un mot

 
  En lisant le Monde et des dépêches de l’AFP et de Reuters...
  Avec une soixantaine de tués, dont des femmes et des enfants, ce jour aura été “la journée la plus meurtrière depuis la prise de contrôle de la bande de Gaza par le mouvement islamiste Hamas”. Hier, le ministre israélien de la défense Ehoud Barak avait fait savoir qu'Israël préparait une offensive contre les activistes palestiniens à Gaza ; et son adjoint Matan Vilnaï les avait avertis : "Plus les tirs de roquettes Kassam s'intensifieront, plus les roquettes augmenteront de portée, plus la « shoah » à laquelle ils s'exposeront sera importante, parce que nous emploierons toute notre puissance pour nous défendre".
  Très vite, le porte-parole de Vilnaï s’est employé à préciser que le mot « shoah » avait été employé dans le sens de désastre - non dans celui de génocide ni d’holocauste. De son côté, le porte-parole du Hamas a rapidement réagi : "Nous sommes confrontés à de nouveaux nazis qui veulent massacrer et brûler le peuple palestinien".

  Une centaine de morts en quelques jours au sein d’une population coupée du reste du monde et soumise à de sévères privations : certes, ce n’est pas un génocide ; les diplomates parlent d’usage disproportionné de la force. Mais cela ne peut que susciter de nouvelles vocations de combattants et de martyrs.
  Sinistre héritage de Bush et de Sharon : en huit ans la situation s’est gravement détériorée. Peut-on attendre du prochain président américain qu’il suscite et impulse une dynamique de paix ?

   Samedi 1er mars 2008 

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Obstination présidentielle ?

 
 En validant la loi instituant la rétention de sûreté, le Conseil constitutionnel a précisé que cette mesure "ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi" ou "pour des faits commis antérieurement" à cette publication.
  Mais le président Sarkozy persiste : il rappelle que l'application immédiate de la rétention de sûreté pour les criminels jugés dangereux demeure "un objectif légitime pour la protection des victimes". Et il demandé au premier président de la Cour de cassation "d'examiner la question et de faire toutes les propositions nécessaires pour (...) atteindre" cet objectif.
   L’enjeu est d'importance : le principe de non-rétroactivité des lois - qui pose qu'un condamné ne peut retomber, pour la même affaire, sous le coup d'une nouvelle loi pénale - apparaît comme un obstacle à la mise en œuvre d'une mesure destinée à renforcer la protection de victimes potentielles. Cependant, la démarche du président choque dans la mesure où elle donne le sentiment qu'il veut soit contourner soit outrepasser la limite fixée par le Conseil constitutionnel.
  Il est vrai que, dans sa décision, le Conseil laissait ouverte une possibilité d'application immédiate de la rétention de sûreté dans certains cas : notamment pour des condamnés qui n'auraient pas respecté les obligations judiciaires de la "surveillance de sûreté" (soins, bracelet électronique, etc.).
  Pour éviter qu'une crise institutionnelle s'ajoute aux autres crises dont souffre la France, le président doit très vite et très clairement montrer qu'il respecte la décision du Conseil constitutionnel. Et si l'on veut que la rétention de sûreté ne conduise pas à la multiplication de prolongations de détentions à durées indéfinies, l'administration doit être en mesure d'assumer ses tâches de soins et de préparation à la réinsertion, ce qui implique des moyens adéquats.
 
   Vendredi 22 février 2008 

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Instabilité présidentielle

 
 Dans un “appel à la vigilance républicaine”, plusieurs responsables politiques, d’orientations et d’engagements divers, ont réaffirmé ensemble “un certain nombre de convictions et de valeurs” :
« - Leur attachement au principe républicain et, en conséquence, leur refus de toute dérive vers une forme de pouvoir purement personnel confinant à la monarchie élective.
« - Leur attachement aux fondamentaux d'une laïcité ferme et tolérante, gage de la paix civile.
« - Leur attachement à l'indépendance de la presse et au pluralisme de l'information.
« - Leur attachement aux grandes options qui ont guidé, depuis cinquante ans, au-delà des clivages partisans, une politique étrangère digne, attachée à la défense du droit des peuples et soucieuse de préserver l'indépendance nationale et de construire une Europe propre à relever les défis du XXI° siècle».
  Le premier ministre, François Fillon, a jugé  “profondément anti-démocratique" une démarche qui, selon lui, vise “à tenter de déstabiliser le président de la République”.
  Sur leur manière d’exercer leur fonction, tous les présidents de la V° République ont été critiqués, voire attaqués - et notamment de Gaulle, Giscard et Mitterrand. D’après mes souvenirs, aucun premier ministre n’est intervenu  pour les protéger contre une prétendue “tentative de déstabilisation”.
  L’institution présidentielle serait-elle devenue instable ? 
 
   Samedi 16 février 2008 

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Des loups dans la bergerie ?

 
  «Dans le port de Lagos, au Nigeria, des hommes chargent avec mille précautions 21 caisses pesant, au total, 330 kilos à bord d'un navire en partance pour Oslo. Elles contiennent bien mieux que de l'or ou des diamants : le trésor de l'agriculture africaine, soit 7 000 variétés de semences de niébé (fourrage), maïs, soja et pois de terre. Le 26 février 2008, ces graines seront les premières à prendre place dans le fameux coffre-fort norvégien du Spitzberg chargé de préserver la quintessence de l'agriculture mondiale ad vitam aeternam . Bientôt, d'autres cargaisons quitteront le Bénin, la Colombie, l'Ethiopie, l'Inde, le Kenya, le Mexique, le Pérou, la Syrie... pour la même destination. Cette Arche de Noé de l'agriculture mondiale conçue par l'organisation non gouvernementale Global Crop Diversity Trust, prévoit de conserver ainsi 2 millions de semences à l'abri de toute catastrophe mondiale», nous rapporte Le Point du 7.
 Justement, Ouest-France d'aujourd'hui nous décrit ce "coffre-fort" : «une forteresse destinée à protéger la diversité des espèces végétales (…) : des murs en béton armé d'un mètre d'épaisseur ; un couloir de cent mètres doté de doubles portes blindées capables de résister aux plus violentes explosions ; des containers en aluminium réfrigérés et étanches destinés à préserver les graines de l'humidité et placés à 130 mètres sous la mer» : et tout cela à 1 100 km du pôle Nord, dans l'archipel de Spitzberg-Svalbard, en Norvège.
 Pour le grand public, Bill et Melinda Gates - couple qui cristallise la richesse, la bienfaisance et la puissance américaines - auraient eu le souci d’assurer, pour la sécurité de l'alimentation à l'échelle du monde, la conservation et la disponibilité de la diversité des semences. Mais qu'est donc cette ONG : Global Crop Diversity Trust ? D’après son site, elle réunit - si l'on prend en compte les donateurs et les "sponsors" - de grandes organisations internationales (Banque mondiale, FAO), de grands pays des cinq continents (Etats-Unis et Royaume-Uni en tête) et des fondations (Gates, Rockefeller...) ; mais on trouve aussi de grandes firmes (DuPont/Pioneer Hi-Bred, Syngenta,...) et divers centres de recherches qui semblent, toutes et tous, partager un commun penchant pour la génétique.
 A-t-on jamais vu des bergers prendre des loups pour garder leurs brebis ? Comment peut-on confier la sauvegarde  de la biodiversité mondiale à des firmes qui ont, dans trop de pays, contribué à la dégradation des biodiversités locales ?
 Certes, ces firmes affirment, de concert avec les centres de recherche génétique, qu'elles oeuvrent pour la biodiversité de la planète. Admettons ce point de vue. Il faut alors constater que coexistent désormais deux visions de la biodiversité :
- la biodiversité héritée du travail mené avec la nature par des générations de cultivateurs soucieux d'obtenir des produits adaptés à leurs sols et à leurs climats : une biodiversité qu'il convient de sauvegarder, d'élargir et de renforcer avec toute la prudence requise ;
- et la biodiversité recréée sous l’emprise de la technoscience génétique, conçue comme un instrument de maîtrise et de reformatage de la nature, sous l'impulsion de quelques firmes dominantes : des firmes qui voient le monde à travers les prismes de la monnaie, du pouvoir d'achat et du profit.
 Que vont faire ces firmes avec ces semences captées dans toutes les contrées du monde pour être regroupées dans le "coffre-fort" de l'archipel de Spitzberg-Svalbard ? Me revient en mémoire ce précepte de mon mentor en écologie : "Imagine le pire, tu resteras bien en dessous de la réalité”
 
 Dimanche 10 février 2008

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Un président calamiteux

 
  “L'Amérique est en guerre, l'Amérique est en récession, l'Amérique n'a jamais été aussi forte”, déclarait le président Bush dans son discours sur l'état de l'Union le mardi 29 janvier 2002 : “le monde civilisé est menacé par des dangers sans précédent (…). La Corée du Nord est un régime qui s'arme avec des missiles et des armes de destruction massive. L'Iran est déterminé à se doter de ces armes et exporte le terrorisme, et l'Irak continue de démontrer son hostilité à l'égard de l'Amérique et soutient le terrorisme. Le régime irakien conspire depuis plus de dix ans pour développer le bacille du charbon, des gaz de combat et des armes nucléaires (…) ; en cherchant à se doter d'armes de destruction massive, ces régimes représentent un danger de plus en plus grave” - le  redoutable “axe du mal”. Jouissant d’une forte popularité, le président Bush se disait déterminé à “empêcher les régimes qui soutiennent le terrorisme de menacer l'Amérique ou (ses) amis et alliés avec des armes de destruction massive” et il annonçait "la plus grosse augmentation des crédits de la défense qu'on ait vue depuis vingt ans (…). Quel que soit le prix à payer pour défendre notre pays, nous le paierons”.
  Six ans plus tard, il y a eu 150 à 300 000 victimes en Irak et près de 4 000 morts parmi les militaires américains ; les talibans se réimplantent en Afghanistan, la situation est pire que jamais en Palestine, incertaine au Liban, effroyable en Irak… Pour se rassurer, le président Bush, qui entame sa dernière année de mandat au plus bas dans les sondages, se rassure, dans son dernier discours sur l’état de l’Union, avec cette nouvelle rodomontade : “Al-Qaïda commence à quitter l'Irak et cet ennemi sera bientôt vaincu”. Au Moyen-Orient, les régimes pro-américains redoutent une nouvelle initiative armée contre l’Iran ; aux États-Unis, la situation des pauvres et des classes moyennes s’est détériorée ; dans le monde, l’image de ce grand pays qui refuse de se joindre à l’effort commun pour limiter le réchauffement climatique, est profondément dégradée.
  Un président élu lors d’un scrutin litigieux contre Al Gore en 2000, mais clairement réélu par les Américains en 2004. Un président pieux, patriote, habile dans l’art de ne pas dire la vérité et qui s’est lancé dans une croisade contre le terrorisme sans connaître le monde et sans avoir mesuré la complexité du Proche-Orient… Sans doute la présidence du second Bush apparaîtra-t-elle comme la première des sept calamités du XXIe siècle. 
 
 Mardi 29 janvier 2008

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Alors que dollars et euros s’évaporent par milliards…

 
  Reçu le dernier numéro d’Économie et Humanisme,  un numéro qui publie un dossier sur "la participation des citoyens, promesse de développement" et, parmi rubriques et chroniques, mon article “Face au basculement du monde”.
  Un discret message est encarté dans le numéro : “Une situation de rupture financière due, ces tous derniers mois, à la non-réalisation d’actifs financiers, conduit l’association éditrice de la revue à suspendre sa parution après ce troisième numéro de l’année 2007”.
  Fondée en 1942 par L.-J. Lebret , cette revue est une des rares à avoir eu le souci d’imprégner d’éthique de la responsabilité et de souci du bien humain l’étude des réalités économiques et sociales.      J’espère que sa publication pourra reprendre prochainement : car l’éthique, la responsabilité, l’élévation de la qualité humaine sont indispensables pour que l’humanité sorte sans trop de dégâts de la mauvaise passe dans laquelle elle s’est mise.
 
 Vendredi 25 janvier 2008

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A tâtons

 
  Ce qui est fascinant dans l’actuelle crise financière mondiale, issue de la crise états-unisienne des “subprimes”, c’est que depuis des semaines, nul ne sait où ça va s’arrêter.
 C’est, bien sûr, dans la nature de toutes les crises financières internationales ; mais l'incertitude est terriblement accentuée depuis quelques décennies par l’extrême sophistication des marchés et par la multiplication d’actifs financiers dérivés, mués en abstractions informatiques, dont le jeu incessant fascine les génies de la spéculation.
 Mais, dès lors que la dynamique s’enraye ou s'emballe, les mêmes banquiers ou financiers qui jusque-là comprenaient tout perdent soudain - comme d'autres jadis leur latin - l'entendement.
 
 Mercredi 23 janvier 2008

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Visites présidentielles au Moyen-Orient

 
  Incident naval La visite du président Sarkozy, rapide, comme hâtive, a été perçue par certains observateurs de la région comme celle d’un “super commis-voyageur”. Cependant, il ne s’est pas contenté d’apporter son soutien aux entreprises françaises - du nucléaire notamment ; il a signé un accord pour l’établissement d’une base militaire face à l’Iran, à Abu Dhabi : pour montrer “au monde que la France est aux côtés des Émirats arabes unis”.
  Qu’allons-nous donc faire dans cette galère ?

  Avant le début de sa visite en Israël et en Palestine, le président Bush avait affiché son souci de soutenir l’avancée des négociations... appelées à préparer la paix. Mais, dès le premier jour, il est apparu que l’Iran était au centre de ses discussions avec Ehoud Olmert, le premier ministre israélien. Quelques jours plus tard à Abou Dhabi, au cours d’un discours sur la démocratie, il haussait le ton : “L'Iran est le premier Etat à parrainer le terrorisme dans le monde (…). Les actions de l'Iran menacent la sécurité de pays partout dans le monde” ; et il invitait les amis des États-Unis à “faire face à ce danger avant qu'il ne soit trop tard”. À Riyad, il invitait les dirigeants saoudiens à l’aider dans son effort pour isoler Téhéran.
  Mais, lors d'une conférence de presse à laquelle participait la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice, le ministre saoudien des affaires étrangères, le prince Saoud Al-Fayçal a déclaré en réponse à des journalistes : “L'Iran est un pays voisin, un pays important dans la région (...). Nous n'avons bien sûr rien contre l'Iran”. Et, en écho à la demande du président Bush de "tendre la main" à Israël pour faciliter un règlement du conflit israélo-palestinien, il avait glissé: "Je ne sais pas ce que nous pouvons faire de plus vis-à-vis des Israéliens",
  Comme si, comme bien d’autres dans la région, les dirigeants saoudiens redoutaient plus que tout une troisième intervention miltaire états-unisienne dans la région...

  Dans le même temps, à Madrid, le premier ministre espagnol Jose Luis Zapatero ouvrait, sous les auspices de l’Onu, le premier forum de l’Alliance des civilisations : celle-ci, a-t-il déclaré, “prétend démontrer qu'il existe des voies pratiques de collaboration entre le monde islamique et le monde occidental qui démentent l'idée supposée d'affrontement inévitable entre civilisations et cultures”.
  Sans doute, pour nos deux présidents, faire le détour par Madrid aurait été comme un chemin de Damas.
 
 Mercredi 16 janvier 2008

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Soupir

 
  Incident naval irano-américain dans le détroit d'Ormuz. "La visite du président Bush cette semaine est destinée à offrir une idéologie de l'espoir", a annoncé la Maison Blanche. Mais Al-Qaida a appelé à l'accueillir "avec des bombes et des voitures piégées", tandis que le président américain, envisageait d'intensifier les actions clandestines dans la zone tribale du Pakistan. Selon une ONG israélienne, plus de 150 000 Palestiniens, jugés par des tribunaux militaires depuis 1967, l'ont été le plus souvent sans que soient respectées les règles élémentaires de la justice. Du Caire, la Ligue arabe propose, à l'unanimité de ses 22 membres, un plan en trois volets pour mettre un terme à la crise politique intérieure libanaise.
  Dans la violence des détestations, des menaces et des attentats, les efforts d'apaisement me semblent des soupirs.
 
 Lundi 7 janvier 2008

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Menaces et sagesse

 Le  rallye-raid Dakar, dont le départ devait être donné ce matin à Lisbonne, a été annulé hier par ses organisateurs. C'était le vœu du gouvernement français après l'assassinat de quatre touristes, il y a une dizaine de jours, puis la mort  de trois militaires dans une attaque en Mauritanie ; en outre des services de renseignement auraient capté des messages évoquant des projets d'attentats ; et parmi les quelques centaines de combattants islamistes présents dans ces zones désertiques, certains disposeraient de missiles et de 4x4 équipés de lance-roquettes. Ainsi, comme les tours du World Trade Center, le célèbre Paris-Dakar aurait pu être la cible d'al-Qaida ou de ses émules. Dans ce raid ne retrouve-t-on pas, comme dans les tours, l'hubris des firmes qui dominent notre monde ?
 Beaucoup vont voir, dans cette annulation, un succès pour les groupes terroristes et une raison supplémentaire de renforcer les dispositifs contre eux.
 Or il est un autre aspect, à mes yeux au moins aussi important : c'est l'extrême vunérabilité de nos sociétés de hautes technologies et d'hyper-consommation. Regardons autour de nous : que de stockages, de réservoirs, de pipe-lines et de sites productifs dont les attaques pourraient être dramatiques pour des quartiers, des villes ou des contrées ! Que de systèmes de transports et de communications dont le blocage paralyserait des approvisionnements, des paiements ou le fonctionnement de systèmes complexes dont peuvent dépendre de larges zones d'activité et de vie !
 La sagesse - mais est-ce avisé de mettre ce terme en avant ? - la sagesse serait de restructurer tous les systèmes hypercentralisés en systèmes de sous-systèmes potentiellement autonomes et susceptibles de s'auto-réorganiser entre eux ; pour les biens essentiels - eau, énergie, alimentation - ce serait de maintenir ou de recréer des capacités productives liées à la vie locale : une raison supplémentaire de promouvoir rapidement et massivement les équipements permettant d'innombrables accès durables à des énergies renouvelables. La sagesse serait de mener un double effort : pour que les besoins essentiels soient de mieux en mieux satisfaits et  pour que reflue la folie contemporaine du "vivre pour consommer" - que la publicité tend maintenant à inculquer aux enfants dès leur plus jeune âge. La sagesse serait d'inventer une frugalité postmoderne.
 Certains penseront qu'on est bien loin du Paris-Dakar.
 Assurément.

 Samedi 5 janvier 2008 

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Quand Sarkozy prêche

 
 Tout nouveau "chanoine d'honneur", le président Sarkozy n'a pas hésité à se placer dans la foulée de son hôte Benoist XVI : « Je partage l'avis du pape quand il considère, dans sa dernière encyclique, que l'espérance est l'une des questions les plus importantes de notre temps », a-t-il déclaré le 20 décembre lors de son discours à Saint-Jean-de-Latran. Il se référa aux propos du pontife sur les petites et les grandes espérances « qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin » ; puis il le cita longuement : « Quand les espérances se réalisent, il apparaît clairement qu'en réalité, ce n'est pas la totalité. Il paraît évident que l'homme a besoin d'une espérance qui va au-delà. Il paraît évident que seul peut lui suffire quelque chose d'infini, quelque chose qui sera toujours ce qu'il ne peut jamais atteindre. […] Si nous ne pouvons espérer plus que ce qui est accessible, ni plus que ce qu'on peut espérer des autorités politiques et économiques, notre vie se réduit à être privée d'espérance ». Sur cette lancée, Sarkozy exposa ses propres vues, allant jusqu'à affirmer que « la morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n'est pas adossée à une espérance qui comble l'aspiration à l'infini ».
 Considérant ma vie comme s'accomplissant sur cette Terre et bornée par la mort, je respecte totalement ceux qui croient en une autre vie et qui placent en elle leurs espérances majeures.
  Mais je trouve inique et infondée cette dépréciation de la morale laïque : des morales religieuses n'ont-elle jamais débouché sur le fanatisme ni connu l'épuisement ? Comme je trouve outrageante et insupportable la dévalorisation des espérances non inspirées par la religion ou la spiritualité.
  Dans le monde tel qu'il est - avec une Terre déstabilisée et épuisée par notre irresponsabilité, avec des sociétés injustes qui créent sans cesse de nouveaux besoins sans veiller à ce que les besoins essentiels de tous soient satisfaits - je crois que c'est dans la conscience de notre responsabilité que doivent s'enraciner nos espérances majeures : pour la sauvegarde de la Terre et du Vivant, pour le devenir de l'Humanité, pour l'élévation de la qualité humaine.

 23 décembre 2007 

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L’Amérique de Bush contre le monde

 Après des semaines de travail et d’intenses négociations, la Conférence de Bali, n’avait pas abouti à l’heure de sa clôture. Deux questions majeures restaient en suspens : celle des transferts de technologies adaptées, primordiale pour les grands pays émergents, comme pour les pays pauvres subissant les effets du réchauffement en cours : et celle des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2020 et 2050, dont l’Union européenne avait fait son cheval de bataille. Sur ces deux points Washington - l’administration Bush - bloquait.
 Or cette conférence devait permettre d’ouvrir la voie à un accord qui, en 2009, devrait mettre en place le dispositif destiné à prendre la suite, en 2012, du protocole de Kyoto - toujours non signé par les États-Unis. Bref, c’est l’avenir du monde qui est en jeu : car si le réchauffement n’est pas maîtrisé à un niveau modéré, le siècle qui vient sera terrible.
 La tension était extrême. Houspillé par un représentant de la Chine pour une question de procédure, le responsable climat de l’ONU, au moment de répondre à la tribune, a éclaté en sanglots.  Puis, alors que les délégués se succédaient à la tribune pour exprimer leur accord avec le texte de compromis issu des ultimes et âpres tractations, la déléguée des États-Unis est venue déclarer, qu’en l’état actuel, les Etats-Unis ne pouvaient pas l’approuver : huées dans la salle, le délégué de Papouasie-Nouvelle Guinée l’apostrophe : “Eh bien si c’est comme ça partez, quittez cette salle...” Quelques minutes plus tard, la déléguée américaine,revenait à la tribune pour annoncer que les Américains avaient  finalement décidé de se joindre au consensus.
 Comme bien d’autres luttes désormais vitales - pour l’eau, pour une atmosphère saine, pour la diversité biologique, pour une terre vivante, pour une humanité solidaire et humaine - celle pour la maîtrise du changement climatique nécessite une dynamique planétaire. La résistance de l’administration Bush est une menace pour tous. La Terre est en danger, notre vie sur notre planète est en danger. L’union de toute l’Humanité va être nécessaire : ce qui implique un surcroît de responsabilité de ceux qui sont à l’origine des déséquilibres actuels comme de ceux qui disposent des moyens économiques, technologiques et financiers les plus importants. À ces deux titres, la responsabilité des États-Unis d’Amérique est majeure.


15 décembre 2007 



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