Une association de défense
Au-dessus des haies, au détour
de la route, là, derrière le bois, regardez,
regardez, voici Vézelay. Descentes, tournants, montées,
détours. A Saint-Germain je perds Vézelay de
vue mais, patiences je sais que là-haut, au sommet
de la côte, je retrouverai ma belle. C'est un jeu dont
je ne me lasse pas: je sais le moment où Vézelay
va m'échapper, je connais la ligne de faîte qui
va me la rendre. Dans la boucle, avant Usy, je m'agrippe au
promontoire de la colline et ne la lâche plus!
Je ne suis ni catholique ni rose-croix; je ne crois en aucun
Dieu et ne sais pas déchiffrer le message des chapiteaux
sculptés aux pierres de la Madeleine. Mais, à
chacun de mes voyages, je rends grâce à la terre
et aux hommes qui m'offrent cet océan calme venu de
la plus lointaine Antiquité. Je rends grâce à
la terre porteuse de Vézelay, aux hommes, créateurs
de Vézelay.
Aujourd'hui, jour J, nous allons former notre association
de défense dont j'ai tapé les projets de statuts.
Le ciel est bleu de glace, le Morvan s'enveloppe de séduction
froide. J'amorce, en seconde, la montée toute en tournants
qui mène à Vézelay. C'est là,
dans la salle de mairie, prêtée par M. Meurice,
maire socialiste de la Colline Eternelle, que nous définirons
nos buts. Nous sommes une vingtaine : maire, conseiller municipal,
retraité, instituteur, artisan, commerçant,
résident secondaire, profession libérale, éleveur...
le " sans-parti " de droite, le communiste, le gauchiste,
le socialiste, le " sans-parti" de gauche, le centre
droit, l'indifférent.,, une assemblée hété.
roclite. Nous ne sommes d'accord que sur un seul sujet : nous
ne voulons pas de Péchiney chez nous. Nous pensons
qu'il polluera, qu'il dégradera le site, que sa présence
sera une source de problèmes pour toute la région.
Lorsque le soleil pose un trait rouge sur l'horizon de Vézelay,
nous sommes une association : pas grosse-grosse, non. Mais
nous existons. Nous avons des statuts que nous déposerons
en début de semaine à la sous-préfecture.
Nous avons un bureau, un président, un vice-président,
un trésorier, un secrétaire, bref, nous avons
tout il ne nous reste plus qu'à barrer la route à
Péchiney
En ce début de mars 1972, notre association groupe
20 personnes 13 supporters, 7 "actifs". Deux grands
courants s'opposent au sein des "actifs" : le courant
"activiste" qui groupe une personne (président
et seul adhérent du "Comité de Défense
de la vallée de la Cure" que j'ai tant cherché,
il y a quelques semaines); le courant " orthodoxe: trois
personnes; trois "hésitants" dont je fais
partie... hésitent entre les deux. Le courant "activiste"
veut entreprendre des actions spectaculaires destinées
à sensibiliser l'opinion; les "orthodoxes"
s'opposent aux "actions irréfléchies"
qui jetteraient l'association dans un "aventurisme dangereux
et irresponsable".
Les orthodoxes l'emportent.
Mais pour que la "volonté populaire" se dégage
il faut d'abord faire savoir aux habitants de la région
ce qui se trame chez eux. Informer devient notre maître
mot.
Informer nous conduira à nous informer; car il ne suffit
pas de dire : " Nous ne voulons pas de cette exploitation"
: il faut expliquer les raisons de ce refus, preuves à
l'appui. Nous contacterons des écologistes, des chimistes,
des vétérinaires, des biochimistes, des géologues,
des spécialistes des eaux, des ingénieurs, des
archéologues. Leurs connaissances, via l'Association,
seront diffusées dans la région.
La fluorine nous envahira, nous débordera; de Pierre-Perthuis,
elle nous conduira à Langeac, Olette-Escaro, Montroc,
et autres lieux; la fluorine nous mènera au fluor,
le fluor à l'aluminium, à la chimie, au nucléaire.
La fluorine, notre minerai au nom de fleur, si pauvre en teneur,
si laide dans notre région, nous forcera à creuser,
creuser de plus en plus loin dans le temps, dans l'espace,
les multiples activités polluantes du groupe qui l'utilise
Péchiney-Ugine-Kuhlmann.
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